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sont trompés aussi grossièrement que le navigateur qui, voulant aller au midi, mettrait le cap dans la direction indiquée par l’étoile polaire.

La responsabilité accompagne l’homme dans la poursuite de la richesse comme partout. Chez les peuples dignes de la liberté, l’homme industrieux attend de son activité propre et de son habileté personnelle la fortune ou le bien-être auquel il aspire pour lui et pour les siens. Comme aussi, à mesure que les lois et les mœurs imposent plus de responsabilité aux individus, il est nécessaire qu’elles leur laissent plus de liberté, dans l’industrie de même que partout. Autrement ce serait une dérision amère.

C’est un travers de la société française en ce temps-ci qu’aussitôt que quelqu’un est dans l’embarras, au lieu de compter sur lui-même, il s’adresse à l’état. Le commerce dit à l’état : Trouvez-nous des débouchés au dehors ; le manufacturier et le cultivateur lui crient : Assurez-nous des acheteurs au dedans, ou soyez notre acheteur vous-même. L’ouvrier réclame le droit au travail, le jeune homme qui sort des bancs ou l’homme mûr qui a échoué dans ses entreprises réclame une place. Cette tendance à abdiquer toute responsabilité entre les mains de l’état, appelons-la par son nom, c’est de la lâcheté. Une nation qui a voulu la liberté, et qui, en présence de quelques obstacles, au milieu de la carrière, se met à appeler le pouvoir, afin de se décharger sur lui du fardeau de la responsabilité humaine, ne peut se comparer qu’au soldat qui serait venu sous les drapeaux pour jeter son fusil et s’enfuir au fort de l’action. Pour ne parler que de ce qui a rapport à notre sujet, d’où voulez-vous que l’état tire de quoi abolir la misère, sinon de ce qu’aurait produit le travail de la nation ? Et si tout le monde compte sur les ressources qu’aura créées le voisin, comment tout le monde ne serait-il pas plongé dans la misère ? Mais sans doute cette défaillance ne se prolongera pas. Ce n’aura été qu’une de ces lassitudes passagères que les plus vaillans athlètes éprouvent quelquefois.

La concurrence industrielle est un des aspects sous lesquels la responsabilité se présente. Chez les peuples sans force morale, la concurrence est impossible, et elle n’existe pas ; chez les peuples libres, la concurrence est de droit, elle est d’intérêt public, c’est une épreuve que les hommes soutiennent victorieusement. Ils se pressent les uns les autres, et les rivaux du dehors les serrent de près : ils ne s’épouvantent pas ; ils tendent leurs muscles, leur intelligence et leur ressort moral ; ils travaillent mieux, ils combinent des inventions nouvelles ; ils ont eu la prévoyance de former du capital, ou ils en trouvent sur leur crédit ; ils sortent de la lutte plus forts, plus habiles et plus riches. Vous vous dites un peuple avancé entre autres preuves, apprenez-nous jusqu’à quel point vous êtes déterminé à subir la concurrence. Vous vous croyez le premier peuple du monde, le plus digne de la liberté :