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la patrie un manquement grave ; elles auraient à s’imputer dans une certaine mesure la pauvreté publique, car, par leur éloignement de la carrière industrielle, elles priveraient le travail national du concours de leurs facultés et de leur intelligence que je suppose supérieures à celles du reste de la nation par le fait d’une plus grande culture ; elles l’en priveraient sans compensation pour la société ; elles seraient dans le corps social des membres peu utiles ; elles ne rendraient pas en proportion de ce qu’elles pourraient, en proportion des avantages dont elles jouiraient ; les règles de la justice seraient enfreintes. Tant que les travers de ce genre ne sont qu’individuels, il n’y a pas grand mal : c’est l’exception qui confirme la règle au lieu de l’infirmer, on peut même y voir un hommage à la liberté ; mais quand c’est le travers général ou à peu près d’une classe, c’est un désordre social, une sorte de dilapidation et de prévarication systématiques, et la classe qui fait la faute l’expie tôt ou tard.

Cette supposition est à l’adresse de la France. L’esprit de 1789 ne règne pas encore assez dans nos familles bourgeoises. Aux yeux de cette classe qui doit tout à l’industrie, le préjugé qui, parmi les privilégiés, flétrissait les occupations industrielles, n’est pas suffisamment détruit. Quand une famille est honorablement parvenue à l’aisance, les enfans auraient honte de continuer la profession où leur père a réussi et qu’il pratique encore. On veut être militaire ou magistrat, sous-préfet, juge de paix, conservateur des eaux et forêts, ingénieur des ponts et chaussées, receveur de l’enregistrement, fonctionnaire sous une forme quelconque. Si l’on est riche, on fait consister son ambition à aller, dans une légation, porter l’habit d’attaché en s’attribuant un nom d’emprunt et en usurpant la particule, car on rougit du nom roturier de son père. Cette furieuse passion de la bourgeoisie française pour les places devrait nous rendre indulgens pour le travers qu’ont eu beaucoup d’ouvriers honnêtes de prendre au sérieux la doctrine du droit au travail. Le droit au travail ou le travail indéfiniment assuré à chacun par l’état, c’est, pour l’esprit peu cultivé de l’ouvrier, le pendant de la soif des places dont sont dévorées chez nous les familles bourgeoises. Ici et là on attend de l’état une profession et un salaire. Il est indispensable que les mœurs publiques se réforment sur ce point. Les classes ouvrières peuvent se croire dédaignées par les classes plus fortunées, quand elles voient celles-ci fuir toute participation aux professions auxquelles le sort attache le grand nombre. Il est aisé de voir aussi que cette ardeur pour les fonctions publiques tend à appauvrir la société. Sous la pression de sollicitations qui se présentaient fréquemment sous la forme impérieuse d’exigences parlementaires, le gouvernement français a été contraint de multiplier les emplois et les employés civils et militaires et par conséquent les traitemens. De là,