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si les fruits qu’elles s’étaient vantées de savourer ne sont pas pour elles, les générations suivantes les cueilleront.

Il y aurait à étendre à chacun de nos corps d’institutions l’étude que j’ai ébauchée à l’égard de nos institutions militaires. Je prends la liberté de la recommander aux personnes qui ont l’amour du progrès et qui songent à retirer la patrie du tourbillon où elle est si péniblement ballottée. Nous cherchons des points fixes, c’est la liberté et la justice qui nous les donneront. Nous voulons sortir de la misère ; prenons la liberté et la justice pour nos guides. Il est particulièrement trois ou quatre sujets vers lesquels l’attention de beaucoup de personnes s’est déjà tournée, et qu’il serait utile d’explorer encore, celui de la centralisation administrative, celui des impôts, celui de la législation douanière.

La centralisation que nous avons est excessive, on s’accorde assez à le reconnaître. Des gouvernemens tels que ceux de la révolution, qui avaient à lutter contre les puissances au dehors, contre l’anarchie et la contre-révolution au dedans, ont dû tendre à l’excès les liens qui leur ramenaient toute chose. Le gouvernement impérial, qui restitua la tranquillité intérieure à l’aide du despotisme, dut, avec la donnée qu’il avait choisie et qui était vraisemblablement la seule qu’il pût choisir, concentrer de même tous les pouvoirs à Paris. Les lois d’organisation communale et départementale qui furent votées sous la monarchie de juillet consacrèrent quelques adoucissemens à cet absolutisme ; mais il reste encore beaucoup à faire. On a trop médit pourtant de la centralisation depuis la révolution de février. On en a méconnu l’utilité, qui a été grande dans les crises que nous traversâmes après 1789, et qui le restera toujours. La centralisation ne périra pas[1]. Ce qui peut et doit disparaître, c’est l’exagération du principe. Cette exagération a pu d’abord être réclamée par les circonstances, mais aujourd’hui elle est abusive, elle est funeste. Elle paralyse les efforts des individus, elle use le ressort du caractère national, et, pour en venir à notre sujet, elle appauvrit le pays. Ce sont d’énormes pertes de temps toujours renaissantes, qui, selon le proverbe anglais, sont autant de pertes d’argent. Pour conserver du nerf sous cet atonique régime d’atermoiemens indéfinis, il faut que la nation française ait un bon fonds. Napoléon, qui combina savamment ce système, est peut-être de tous les grands hommes celui qui utilisait le mieux le temps. Il avait coutume de dire qu’il y a dans toute bataille un quart d’heure qui décide de la victoire en faveur de qui s’en rend le maître, et ce quart d’heure,

  1. En 1849, au fort de l’hostilité contre la centralisation, une défense habile et éloquente en fut présentée par M. Alexandre Thomas dans le livre que j’ai déjà cité : Une Province sous Louis XIV.