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IV. – DU SYSTEME MILITAIRE DE LA FRANCE DANS SES RAPPORTS AVEC LA LIBERTE ET LA JUSTICE, ET AVEC LE BIEN-ÊTRE DES POPULATIONS.

Le génie de la guerre est un grand destructeur, et il se repaît du capital des nations plus encore que de leur sang. Si le capital que possède la civilisation aujourd’hui est si modique en comparaison des longs siècles de travail et d’abstinence qui ont été consacrés à le former, il faut s’en prendre avant tout à l’empire qu’a eu l’esprit militaire dans les conseils des gouvernemens même constitutionnels de l’Europe. L’usage, maintenu jusqu’à ce jour, d’entretenir dans les grands états européens de nombreuses armées en pleine paix est un legs des temps où les nations avaient à leur tête une noblesse conquérante qui, primitivement par rapine, et plus tard par orgueil, se livrait sans cesse à des ébats guerriers contre ses voisins. Depuis un tiers de siècle, on fait profession d’aimer la paix ; on n’en pressure pas moins les peuples pour tenir sur pied des troupes innombrables. La France est de toutes les nations celle qui s’est chargée le plus pour avoir un grand état militaire par terre et par mer. Pendant bien des années, jusqu’en 1849, son offrande annuelle au démon de la guerre a été de plus de 500 millions, indépendamment de la dette publique, qui, en majeure partie, est le fruit des dernières guerres, et sans compter le capital qu’auraient créé les labeurs de cinq cent mille hommes choisis dans ce qu’il y a de plus robuste parmi les populations. Les hommes qui sont partisans systématiques des grandes armées et des grandes flottes ont beau avoir la bouche pleine du nom du peuple, ils n’en sont pas moins les adversaires les plus dangereux et les plus irréconciliables de l’intérêt populaire. Ils anéantissent, à mesure qu’il se forme, le capital d’où sortirait l’amélioration populaire. Comment les États-Unis sont-ils parvenus à une si grande richesse ? C’est qu’ils ont fidèlement suivi, au moins jusqu’à ces derniers temps, le conseil que leur avait donné en se retirant du pouvoir le glorieux Washington, si bien nommé le père de la patrie. Il leur avait signalé comme leur palladium l’union qui les dispense de se garder les uns envers les autres avec un ruineux appareil, il leur avait recommandé de vivre en paix avec tout le monde, sans s’ingérer dans les querelles d’autrui, sans jamais tirer l’épée, à moins que leur indépendance et leur dignité ne fussent sérieusement compromises. De cette manière, les trésors que les Européens ont détruits en tirant le canon, ou en se perpétuant, par un fol entêtement, pendant un tiers de siècle, dans l’attitude de gens constamment prêts à recommencer ce sanguinaire exercice, les Américains les ont conservés, et en ont fait ces immenses défrichemens, ces canaux, ces chemins de fer, ces bateaux à vapeur, ces écoles, ces bibliothèques, ces milliers d’œuvres et d’institutions qui, tous les jours, ajoutent à la richesse du pays.