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les forces de la nature ; les matériaux même à la faveur desquels il exécuterait des appareils soignés lui manquent plus ou moins complètement[1]. Un des caractères de la civilisation antique, c’est qu’elle connaît à peine les machines. Celles même qui nous semblent aujourd’hui le plus élémentaires, dont nous ne concevons pas que la civilisation pût se passer un instant, n’existaient pas alors. On n’avait pas de roues hydrauliques. Le moulin à eau ne commença à se répandre en Italie que dans les derniers temps de l’empire romain, et il est douteux que Clovis en ait vu un seul dans son royaume. Les appareils qui permettent, une force étant donnée, de bien l’utiliser, tels que les outils, étaient grossiers. Les routes, qui sont de grands outils fixés sur le sol, manquaient presque absolument. Les voies romaines même, que dans les derniers siècles posséda la civilisation antique, étaient peu nombreuses. Si la construction en était solide, le tracé en était très défectueux ; elles offraient des rampes excessives que des voitures chargées devaient surmonter difficilement. Les animaux avaient été domptés ; mais, en dehors du labourage, ils ne prêtaient aux arts utiles qu’une faible assistance. Le cheval alors n’est qu’une bête de bât ; comment servirait-il de bête de trait, quand on n’a pas de bons chemins ?

La division du travail, qui est étroitement liée à l’abondance du capital, et qui donne au travail une fécondité si remarquable, n’existait pas dans l’antiquité. La plupart des arts qui ont aujourd’hui une existence distincte, et qui composent les mille rameaux de l’industrie manufacturière, s’exerçaient lentement et grossièrement autour du foyer domestique par et pour la famille : c’étaient à la fois un morcellement extrême, tout différent de la division du travail, et une agglomération confuse.

Dans cette absence de forces naturelles appropriées par le moyen de machines et d’appareils divers, et faute de cette combinaison intelligente des efforts individuels qui se nomme la division du travail, le genre humain avait beau travailler : un labeur excessif ne donnait que des résultats misérables, qu’une production extrêmement bornée. La civilisation antique végétait donc dans une pénurie lamentable que déguise mal le coloris dont l’imagination de ses poètes l’a parée. Alors le plus grand nombre étant nécessairement dans un dénûment affreux, il fallait le tenir courbé par la contrainte la plus brutale. L’esclavage était alors tellement commandé par l’ensemble des nécessités sociales,

  1. Toute bonne machine est principalement de fonte et de fer. Les anciens ne connaissaient pas la fonte ; on n’en fait que depuis le moyen âge. Les hommes furent des siècles sans connaître le fer : les armes des Grecs et des premiers Romains étaient en bronze, leurs outils de même, et cette circonstance s’est retrouvée au lexique et au Pérou. Bien plus, on n’a eu du fer homogène et à bas prix que depuis qu’on à su faire de la fonte que l’on convertit ensuite en fer malléable par raffinage.