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semble exagérée, et cette distance est d’autant plus frappante qu’elle ne s’accorde pas avec la forme des mamelles. La forme conique, adoptée par Jean Goujon, est celle qui convient à la jeunesse, à la virginité ; la distance qu’il a établie entre elles appartient à un autre âge, à une autre condition. Que les railleurs sourient tout à leur aise en lisant cette observation, qu’ils m’accusent, s’il leur plaît, de compter les grains de poussière sur l’aile d’une mouche, je ne m’inquiète guère de leur sourire ni de leur reproche. Je prends la peine de chercher la vérité, et, quand je crois l’avoir rencontrée, je l’exprime franchement, ou du moins, pour parler avec plus de modestie, je dessine de mon mieux ce que j’ai pris pour la vérité. Eh bien ! dans la Diane de Jean Goujon, la forme des mamelles et la distance qui les sépare ne me semblent pas appartenir au même âge. Cette première impression se trouve pleinement justifiée par le modèle vivant aussi bien que par les monumens de l’art antique. Pourquoi donc hésiterais-je à traduire l’impression que j’ai reçue ? Si de la partie supérieure du torse je passe à la partie inférieure, je suis amené à une remarque du même genre. Les hanches me paraissent plus jeunes que le ventre. Faut-il croire que Henri II ait exposé sa maîtresse aux yeux de Jean Goujon, et que le statuaire l’ait copiée fidèlement ? La première partie de cette conjecture peut être acceptée sans difficulté. Si la princesse Pauline Borghèse a posé sans voile devant Canova pour la Vénus Victrix, placée aujourd’hui à la villa Borghèse, pourquoi Diane de Poitiers n’aurait-elle pas posé aussi librement devant Jean Goujon ? Quant à la fidélité de l’imitation, je ne suis pas disposé à l’accepter. Les défauts que je signale appartiennent tout entiers au statuaire, et ne peuvent invoquer la réalité pour excuse. Je ne crois pas que Jean Goujon ait vu Diane de Poitiers telle qu’il nous la montre, la nature n’offre pas de pareilles contradictions. Les épaules et le dos, plus vrais que la poitrine, le ventre et les hanches, puisqu’ils offrent plus d’unité, suggèrent cependant une remarque facile à vérifier : il semble que la peau soit trop étroite pour la chair qu’elle recouvre ; on se demande comment Diane pourrait lever le bras, et l’on craint que la peau n’éclate et se déchire au premier mouvement. Les épaules et le dos de la Diane sont évidemment dépourvus de cette qualité que les Italiens appellent morbidesse, et qui, depuis long-temps, était connue dans notre langue sous le nom vulgaire de souplesse.

Les membres de la Diane se recommandent par une incontestable élégance. Les cuises, les jambes et les bras sont modelés avec une rare habileté ; cependant, tout en rendant justice au mérite de ces morceaux, je crois pouvoir dire que Jean Goujon a donné aux membres de sa figure une longueur exagérée. Assurément la distance de la hanche au genou et du genou au pied ajoute singulièrement à l’élégance