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politique suivie par la royauté française au XVIe siècle. La question qui nous occupe est, grace à Dieu, contenue dans des limites beaucoup plus modestes : il s’agit d’expliquer l’inaltérable constance de Henri II. Or, malgré la science consommée que Diane apportait dans le soin de sa beauté, il est certain qu’elle eût perdu son amant au bout de quelques années, si elle eût confié à sa beauté seule la tâche difficile de le soustraire au goût du changement plus vif encore : chez les rois que chez les autres hommes. Si Brantôme a dit vrai, et dans cette occasion il n’avait aucun intérêt à mentir, Diane avait d’abord ébloui le duc d’Orléans de sa merveilleuse beauté, et régné sur les sens et le cœur de son amant. Plus tard, quand elle sentit la jeunesse lui échapper malgré sa lutte obstinée, elle invoqua le secours de son intelligence, elle prit possession de l’esprit de Henri II comme elle avait pris possession de ses sens et de son cœur, et ce précieux auxiliaire assura la durée de son empire. Ce qui prouve que Brantôme n’a pas exagéré les ressources intellectuelles de Diane, c’est que Catherine de Médicis, femme de Henri II, plus jeune et aussi belle que Diane, renonça bientôt à combattre la puissance de sa rivale, et comprit que l’heure de régner n’était pas encore venue pour elle. La reine se soumit à la maîtresse et dévora son dépit. Or, si Catherine n’était pas bonne, elle l’a trop bien montré, à coup sûr l’intelligence ne lui manquait pas. Et pourtant Catherine a laissé Diane régner en paix.

Jean Goujon nous a représenté la maîtresse de Henri II sous les traits de Diane chasseresse. La première chose qui me frappe dans cette figure, c’est que le visage et l’attitude expriment plutôt l’indolence et la volupté que le caractère attribué à la déesse païenne. Quoique l’histoire d’Endymion soit consacrée par la tradition, chacun sait, en effet, que Diane, selon la croyance générale de la Grèce, vivait chastement, et se livrait avec ardeur aux exercices du corps. Son visage respirait à la fois la pudeur et la fierté. Ce qui prouve clairement que Jean Goujon n’a pas voulu transformer le modèle qui posait devant lui, c’est qu’il n’a tenu aucun compte de la physionomie attribuée à Diane par la mythologie antique, et n’a cherché à exprimer ni dans le regard ni dans la bouche les deux sentimens que je viens de rappeler. S’il ne l’a pas essayé, ce n’est certes pas qu’il ait vu dans cette transformation une tâche au-dessus de ses facultés ; car, lorsqu’il fit le portrait de la maîtresse de Henri II, il était familiarisé depuis long-temps avec toutes les ressources, avec toutes les ruses de son art. Il a voulu, avant tout, offrir au fils de François Ier l’image fidèle de la femme qu’il aimait. Quand je parle d’image fidèle, c’est du visage que j’entends parler. Il est bien difficile, en effet, d’admettre que le corps de Diane de Poitiers fût, à l’âge de quarante-sept ans, tel que nous le voyons dans le marbre du musée d’Angoulême. Les soins les plus assidus, la lutte la plus acharnée contre les injures du temps, n’expliqueraient pas une telle