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perte. Le brigadier arriva le premier au massif de saules. Le canal, plongé dans la nuit, formait un large sillon noir que tachetaient de loin en loin les touffes de plantes aquatiques. Durand se retourna en ricanant

— Eh bien ! où est donc sa niole blanche ? demanda-t-il. — Regardez ! cria Fait-Tout, qui nous montrait l’embouchure de l’étier.

Tous les yeux se fixèrent en même temps sur le point indiqué : en avant d’un jet de clarté stellaire qui argentait les eaux, une forme vague glissait légèrement dans l’obscurité ; elle atteignit bientôt la ligne lumineuse, et nous reconnûmes une petite barque recouverte de blanc.

Cette fois le brigadier parut céder au saisissement général et ne put retenir une exclamation.

— C’est elle ! c’est la niole d’angoisse ! répétèrent plusieurs voix.

— Elle rentre dans le grand étier, dit Jérôme.

— Mais elle nous a auparavant laissé son chargement, acheva Fait-Tout.

Il désignait du doigt un petit atterrissement qui, jusqu’alors, avait été caché par la berge ; nous nous penchâmes tous à la fois, et nous aperçûmes le cadavre d’un noyé.

Il était couché au milieu des broussailles, la face contre terre et les deux bras étendus. Les gendarmes descendirent jusqu’à lui, le dégagèrent des repousses de frêne, et, l’enlevant avec effort, le déposèrent sur le bord du canal. La Loubette, qui les avait aidés, se mit alors à genoux près du mort pour le mieux examiner. Le long séjour sous les eaux avait rendu le visage méconnaissable, mais les vêtemens semblaient être ceux du réfractaire ; enfin, une bague que l’on retrouva à la main gauche dissipa tous les doutes : c’était l’anneau de promesse dont m’avait parlé le cabanier, et on y lisait distinctement les noms de Guillaume et de Lousa.


III. – GUILLAUME LE REFRACTAIRE.

Le corps du noyé avait été porté à la cabane, on le déposa dans un petit appentis fermé attenant au logis d’habitation. Le hasard ayant appris au brigadier Durand que j’avais quelques notions de médecine, il me pria de dresser procès-verbal. Il fallait, pour cela, procéder à l’examen du cadavre, afin d’en reconnaître l’état et de constater la cause du décès. Cependant deux des gendarmes qui étaient retournés à Chaillé avaient répandu le bruit de ce qui venait d’arriver. Malgré la nuit, on accourut bientôt du voisinage pour voir le mort.

On sait que tout événement qui réunit des paysans est pour eux