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— Aussi t’ai-je donné le grand jeu, répliqua l’ancien marin, l’autel d’amour, la religion, la fleur royale et la mort ! Qu’est-ce que tu veux de plus ? Dans tout le pays, vous ne serez que deux à les avoir, toi et Sauvage, le Bien Nommé.

— Alors je suis déjà seul, reprit le Fier-Gas, vu qu’à cette heure le Bien-Nommé est sous l’eau.

— Qu’est-ce que tu dis là ? s’écria Fait-Tout stupéfait.

— On n’a pas eu son corps, dit le paysan, mais on a trouvé sa niole chavirée, et, depuis, Sauvage n’a plus reparu.

— Comment donc la chose est-elle arrivée ?

— Personne ne peut savoir ; seulement, il y en a qui disent que le Bien-Nommé aura rencontré la dame de l’étier (étang).

— Celle qui revient sous forme de fantôme ?

— Et qui noue sa chevelure aux nioles pour les attirer au fond.

Quelques-uns des assistans secouèrent la tête, comme s’ils doutaient ; mais aucun ne combattit la supposition du Fier-Gas. L’un d’eux seulement fit observer que, depuis quelque temps, il y avait un mauvais sort sur les familles du Petit-Poitou. Ces derniers mots semblèrent rappeler à Fait-Tout mon désappointement de la veille ; il me demanda si j’avais enfin vu quelqu’un de chez le cabanier. Je lui racontai mes recherches inutiles, et plusieurs des paysans qui se trouvaient là m’affirmèrent qu’aucun des Blaisot n’avait paru à Marans. Il ne me restait plus d’autre ressource que de me rendre moi-même à la cabane de Blaisot, dans cette partie desséchée du Marais qu’on nomme le Petit-Poitou ; mais, privé du compagnon sur lequel j’avais compté et ne connaissant point le pays, j’éprouvais un véritable embarras. Fait-Tout me proposa spontanément de louer un char-à-bancs dans lequel il me conduirait au dessèchement. J’acceptai sans balancer ; il me demanda une heure pour finir avec le Fier-Gas, et je retournai dîner à mon auberge, où je lui donnai rendez-vous.

Il se fit attendre long-temps, et je m’aperçus, lorsqu’il arriva, que le peintre, ordinaire du Fier-Gas avait un peu trop multiplié les toasts à la glorification de son chef-d’œuvre. Il m’amenait ce qu’il avait trouvé de plus comfortable. C’était une petite charrette peinte que traversaient deux planches en guise de bancs. J’y montai sans observation, et nous prîmes le chemin de Chaillé.

Jusqu’alors je n’avais vu que le Marais-mouillé ; dès que nous eûmes atteint le booth de Vix, le Marais-desséché commença à se dérouler sous nos yeux. Il occupe tout l’espace compris entre l’Autise et le canal de Fontenelle, remontant jusqu’à la Ceinture des Hollandais, un œil au-dessous de la route qui conduit de Fontenay à Luçon. Commencés, comme nous l’avons dit, par le gentilhomme brabançon Humfroy Bradléi, ces desséchemens furent multipliés par de riches seigneurs,