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Perdus parfois dans un dédale de frênes, de saules ou de roseaux, et n’entendant autour de nous que les cris des oiseaux aquatiques, nous pouvions nous croire sur un de ces affluens des grands fleuves américains où n’a jamais flotté que le canot d’écorce du sauvage ; d’autres fois une percée, qui se faisait subitement, nous laissait voir des prairies, des cultures et des villages. Nous passions devant des criques pleines de barques, puis tout disparaissait derrière une touffe d’arbres, et nous commencions à côtoyer quelques levées ombreuses que suivaient de longues files de doublons conduites par un muletier dont la voix nous arrivait, par instans, accompagnée du bruit des sonnettes, et répétant un vieux noël. J’écoutais avec un ravissement involontaire cette rustique pastorale où de vrais bergers du Poitou faisaient parler les bergers de la Judée, je m’associais à leur crédule joie devant l’enfant qui venait finir les guerres, je suivais pas à pas cette scène villageoise, où rien n’était oublié, ni le don fait par Guillot, ni le pauvre luminaire de saint Joseph éclairant l’intérieur de la crèche, jusqu’à ce dernier couplet, prière naïve que le chanteur répétait tête nue :

Or, prien tous à géneil
Jésus-Christ d’amour doucette,
Qu’il nous fasse bonne réceil
Et que noutre paix soit faite
Au grein jour, quen sonnera la trompette,
Qu’ein sein paradis nous mette
Au royaume paternau,
Nau ! nau !

La nuit était close lorsque nous arrivâmes à Marans. Je me fis conduire à l’auberge que j’avais désignée à Blaisot, et où je devais le trouver ; mais, quand je m’informai près de l’hôtelier, j’appris qu’il n’était venu personne. Ma lettre était pourtant partie de Fontenay depuis plusieurs jours, et avait certainement été reçue. Je ne pus cacher mon étonnement.

— C’est bien Jérôme que monsieur attendait ? demanda l’aubergiste.

— Eh non ! c’est son fils Guillaume ! répliqua vivement Fait-Tout.

— Le grand Guillaume ? dit l’hôtelier, qui me regarda d’un air étrange.

— Connaissez-vous donc quelque raison qui ait pu l’empêcher de venir ? demandai-je.

— On ne sait pas les affaires des autres, répondit-il avec hésitation ; mais c’est demain marché, et il viendra certainement quelqu’un de chez Blaisot.

Ceci me donna de l’espérance. Averti par ma lettre que j’arrivais le soir, Guillaume avait pu remettre notre entrevue au jour où ses propres affaires l’appelaient à Varans. Je fus seulement frappé de l’espèce