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le bon temps pour nous autres ! je ne dis pas par rapport aux venins, qui s’étaient mieux vendus sous l’ancien régime, quand le remède royal guérissait toutes les maladies ; mais par compensation il y avait eu tant de morts, que les vivans étaient partout à l’aise. Celui qui voulait un gîte pouvait pousser la première porte qu’il voyait fermée ; la moitié des maisons avaient leurs maîtres en paradis. Puis, de s’être acharné si long-temps à la chasse des hommes, ça avait fait profiter le gibier ; on prenait les perdrix à la main et les lièvres à coups de bâton ! moi, qui vous parle, j’en ai apporté jusqu’à douze d’une fois au marché. À cette heure, si vous tuez seulement un loriot sans papier, on vous traite de braconnier, et vous payez l’amende. Il n’y a plus ni liberté ni profit pour les malheureux ; allez à droite, allez à gauche, vous, trouvez que tout est à quelqu’un. Il y a trop de gens autour du blé qui mûrit, voyez-vous ; faudrait un peu de canon pour faire de la place et desserrer les coudes.

Tout cela ne fut point dit d’une haleine, mais à plusieurs fois et souvent interrompu par mes questions. Le chasseur de vipères et moi nous nous dirigions vers Fontenay. Naturellement très communicatif et d’ailleurs excité par l’évidente bonne volonté de son auditeur, mon compagnon m’eut bientôt mis au courant de son histoire. J’appris qu’il s’appelait Nivôse Bérard, mais que la variété de ses industries lui avait valu le surnom de Fait-Tout. Il avait été élevé à l’hospice des Sables-d’Olonne, d’où il était parti à seize ans pour s’embarquer comme mousse sur les escadres de la république. Revenu en Vendée après la pacification, il y avait commencé la vie errante qu’il menait depuis. Autant que j’en pus juger à cette première entrevue, Fait-Tout avait contracté, dans sa courte carrière maritime, certaines habitudes d’esprit fort, démenties par les plus étranges crédulités. La philosophie du gaillard d’avant lui avait ôté ses croyances en lui laissant toutes ses superstitions ; il doutait de Dieu, mais non des fades, et, s’il riait de l’enfer, il ne parlait point sans inquiétude des fantômes. Élevé sur les limites de deux mondes, celui de la négation et celui de la foi, il n’avait pris de chacun que les préjugés.

En le retrouvant à Maillezais, je me souvins que, lors de notre rencontre, il m’avait parlé d’une prochaine excursion dans le Marais-mouillé. Il m’expliqua comment il y était principalement attiré par la pêche des sangsues qui avait avantageusement remplacé la chasse aux vipères. Lui-même cherchait une place dans quelque bateau pour descendre vers Marans ; enchanté du hasard qui me permettait de faire plus ample connaissance avec mon bohémien, j’offris de le prendre dans celui qu’on venait de m’amener.

À peine sorti de Maillezais, nous nous trouvâmes en plein Marais-mouillé.