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pas moins pris place parmi les plus prospères de notre histoire. Ce n’était pas la conclusion, comme nous l’avions cru, mais c’était un intermède heureux entre deux secousses. L’association de la monarchie et de la démocratie est peut-être impossible, ce serait trop beau ; ceux qui l’ont tentée et qui ont failli la réaliser n’en ont que plus de droits à notre reconnaissance et à nos respects. Si une nouvelle monarchie s’établit un jour, si la république elle-même peut marcher, c’est à l’expérience de ces dix-huit ans que nous le devrons. La France n’a pas tout appris à cette école, elle y a du moins puisé des exemples et des leçons qui lui profitent aujourd’hui. On pourrait presque dire qu’elle s’en souvient trop, et qu’après avoir trop facilement laissé tomber la monarchie constitutionnelle, elle imite trop les procédés de cette monarchie qui n’est plus, oubliant qu’à des situations nouvelles il faut des remèdes nouveaux. Ce retour instinctif vers le passé est, en tout cas, l’hommage le plus éclatant qu’elle puisse rendre aux hommes et aux pouvoirs qu’elle a méconnus, et en particulier à l’homme qui a le plus fait pour la modérer et pour l’éclairer, à celui qui, même aujourd’hui, après l’ostracisme dont elle l’a frappé, lui apprend encore comment les révolutions réussissent, M. Guizot.

Il y a des chutes dans l’histoire qui honorent plus que bien des succès ; c’est un beau tort, après tout, que d’avoir trop préjugé de son pays, d’avoir voulu terminer trop tôt ses épreuves et lui donner un meilleur gouvernement qu’il ne pouvait le supporter. Si M. Guizot n’a pas réussi jusqu’au bout, ce n’est pas faute d’éloquence, de courage, d’habileté et même de bonheur, car il a été heureux jusqu’au dernier moment dans ses entreprises ; de lui aussi on peut dire qu’il a été trop heureux, il a poussé ses rivaux à bout à force de talent et de succès, et il sera un des plus grands exemples historiques de cette vieille vérité que, dans les démocraties, il n’est pas bon de trop réussir. Pour lui, du moins, le jour de la justice est venu en partie, et il lui a été permis de revoir son pays. Pourquoi n’en est-il pas encore de même de tous ceux qui ont attaché leur nom à cette monarchie de 1830, tant décriée naguère, mieux appréciée aujourd’hui ? Le premier de tous, le vieux prince qui n’a jamais fait que du bien à la France et à la liberté, passe ses derniers jours dans l’exil, et le sentiment universel du monde, devançant l’infaillible jugement de l’histoire, proteste contre cet exil immérité. La France démocratique ne comprend-elle donc pas qu’il lui reste un grand devoir à remplir, et que, sans engager l’avenir, elle a beaucoup encore à réparer envers le passé ?


LEONCE DE LAVERGNE.