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énergie, et c’est ce même maréchal Bugeaud qui avait pris alors la part la plus active à la répression. Que dis-je ? le général Lamoricière qui a si bravement et si heureusement combattu en juin 1848, n’était-il pas précisément un de ceux dont l’intervention avait été impuissante en février ? Le général Changarnier est encore le seul qui ne compte que des succès contre l’émeute ; mais, quels que soient ses talens militaires et son brillant courage, il a surtout réussi parce qu’il avait l’opinion pour lui. Si jamais il avait à défendre à son tour un gouvernement abandonné par l’opinion, l’issue pourrait bien être différente. En juin 1848 et en juin 1849, comme en 1832, la grande majorité du pays demandait une forte résistance ; cette résistance n’a pas manqué. En février 1848, comme en août 1830 ; la grande majorité du pays était hostile à la résistance ; la résistance a avorté.

Et, quand même la résistance eût été possible, je nie qu’elle fût utile et même légitime. Comprend-on quelle eût été la situation du roi et de son gouvernement le lendemain d’une répression sanglante dans les rues de Paris sans le concours de la garde nationale et même contre elle ? Je sais bien que, dans ce moment-ci, après l’épreuve faite, la grande masse de la nation serait en faveur du gouvernement quelconque qui n’hésiterait pas à faire mitrailler la garde nationale elle-même, si elle prenait parti pour l’émeute ; mais en février l’état des esprits était tout autre, on l’a bien vu par l’effet que produisit dans la soirée du 23 la décharge du boulevard des Capucines. On oublie vite dans ce pays-ci, et on a complètement oublié depuis deux ans où nous en étions au commencement de cette fatale année 1848. L’émeute ne criait pas : Vive la république ! elle s’en gardait bien ; elle criait : Vive la réforme ! et la plus grande partie de la garde nationale de Paris était avec elle d’intention ou de fait. Ce n’était pas contre la république, mais contre la réforme que le gouvernement aurait remporté sa victoire d’un jour ; le lendemain, il se serait trouvé en présence de la population de Paris tout entière indignée d’avoir vu couler le sang pour une cause qui lui paraissait juste, et dans le parlement, en face d’une opposition déjà arrivée aux dernières limites de la violence et fortifiée par la passion du dehors.

Le roi Louis-Philippe devait sa couronne à un mouvement national, il n’a pas voulu lutter contre un mouvement national tout aveugle qu’il fût. S’il avait ordonné le feu, il n’en aurait peut-être que plus sûrement été réduit à la nécessité d’abdiquer, et on aurait pu dire de lui qu’il avait inutilement versé le sang pour son intérêt personnel. Mieux vaut qu’il soit descendu du trône comme il y était monté, pur de toute violence et de tout excès. Vous le regretterez, messieurs, disait fièrement la reine à ceux qui avaient envahi son cabinet pour le presser d’abdiquer, et cette parole de la noble épouse, inspirée par un juste sentiment