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de l’édifice était la couronne. De même, dans leurs plus vives querelles avec la chambre des lords, les communes s’arrêtaient toujours à temps ; elles respectaient la prérogative de l’aristocratie, comme l’aristocratie elle-même respectait les droits des communes et savait céder à propos. C’est ainsi que l’Angleterre a maintenu jusqu’à nos jours sa constitution au milieu de tant de traverses, et que, d’un instrument qui semblait si imparfait, elle a su faire l’usage le plus profitable.

En France, au contraire, nous avons vu la nation se détacher de son gouvernement à mesure qu’il semblait s’asseoir et se consolider. Loin de s’identifier de plus en plus avec lui, elle s’est laissé persuader qu’il était distinct d’elle-même ; elle a cru tout ce qu’on lui en disait, sans se donner la peine d’y regarder sérieusement. Plus son bien-être s’accroissait, plus elle s’habituait à l’idée que tous ces biens lui venaient en quelque sorte d’eux-mêmes, et que son gouvernement n’y était pour rien. Elle était devenue, à l’égard des chefs qu’elle s’était donnés, défiante, inquiète, jalouse et malveillante. Les succès même tournaient contre ceux qui les avaient obtenus, et l’on peut dire avec raison que ce n’est pas pour n’avoir pas réussi, mais pour avoir trop réussi, que la monarchie de juillet est tombée. Le mariage de M. le duc de Montpensier, par exemple, qui aurait dû consolider le trône à tout jamais, en lui donnant pour point d’appui la grandeur du pays au dehors, a été, au contraire, une des armes les plus puissantes entre les mains de l’opposition. Il en est de même de l’imposante majorité que les élections de 1846 avaient donnée au ministère ; dans un pays qui aurait pris ses institutions au sérieux, une pareille victoire eût été décisive ; elle a été décisive en effet, mais pour amener une réaction qui a tout abattu. Un beau jour, l’émeute s’est levée contre des pouvoirs discrédités, la nation s’est rangée pour laisser passer l’émeute, et le lendemain, à sa grande surprise, elle a trouvé qu’elle avait laissé faire une révolution contre elle-même.

Il est vrai que, pour avoir quelque chose à dire, on a imaginé dans ces derniers temps une accusation singulière contre le gouvernement dépossédé : de même que, pendant sa durée, on l’accusait de rendre la nation trop riche, ce qui ne laissait pas déjà que d’être assez étrange, de même aujourd’hui on l’accuse de ne s’être pas assez défendu. Ce reproche est bizarre, assurément, de la part de ses ennemis : je concevrais qu’il lui fût adressé par ceux qui l’ont servi, et encore à mon avis serait-ce à tort ; mais par ceux qui ont travaillé à le détruire, c’est lui peu fort. Il est difficile d’avouer plus ingénument qu’on l’attaquait sans motif. Assurément, s’il eût résisté à la secousse, la nation y aurait beaucoup gagné ; mais alors que devenaient ces accusations passionnées, échafaudées de si longue main ? Elles s’écroulaient, entraînant avec elles ceux qui les avaient construites avec tant d’art et de haine.