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En regardant de plus près aux personnes, on trouve des différences plus sensibles. Louis-Philippe était bien l’héritier direct, Guillaume III ne l’était pas ; c’était sa femme, la princesse Marie, qui succédait au trône d’Angleterre, à l’exclusion du prince de Galles ; son rôle naturel, à lui, était celui de mari de la reine, comme fut plus tard, sous la reine Anne, le prince George de Danemark, et comme est aujourd’hui le prince Albert. Les Anglais voulurent d’abord ne lui reconnaître que ce titre ; mais il refusa, déclarant qu’il aimait mieux retourner en Hollande. Il voulut avoir l’autorité royale et il l’eut, seconde déviation tout aussi flagrante que la première, et qui aurait dû lui créer des embarras, en conservant près de lui, sur le même trône, un droit antérieur et supérieur au sien. De plus, Louis-Philippe était Français, Guillaume III était étranger, et non-seulement le duc d’Orléans était Français par le sang, mais il l’était par le caractère et par l’esprit ; il avait été élevé dans les idées du XVIIIe siècle, ses souvenirs de jeunesse se confondaient. avec ceux de la révolution, et il avait vaillamment contribué des premiers à repousser l’invasion étrangère ; le prince d’Orange, au contraire, était encore moins Anglais par les idées que par la naissance ; il aimait peu l’Angleterre et les Anglais, et ne s’entourait que de favoris hollandais odieux à la nation.

Le caractère personnel des deux princes n’offre pas moins de contrastes, tous à l’avantage du Français. Autant Guillaume était froid, hautain, taciturne et dur, autant Louis-Philippe s’est montré affable, ouvert et bienveillant. Le premier semblait né pour le gouvernement despotique, le second réalisait l’idéal d’un prince populaire et bourgeois, du chef affectueux d’une nation libre. En permettant cette chute soudaine, qui a dévoilé tout ce que les partis avaient si indignement caché ou défiguré, la Providence a vengé Louis-Philippe des calomnies odieuses de ses ennemis. Quand l’émeute a forcé les serrures des secrétaires des Tuileries et livré à une publicité sans limites les papiers les plus intimes, qu’a-t-on trouvé ? Ce tyran soupçonneux, égoïste et avare a été vu tel qu’il était, c’est-à-dire amoureux et peut-être trop amoureux de popularité, généreux et peut-être trop généreux du patrimoine de ses enfans, simple, franc, loyal et bon dans ses relations publiques comme dans ses relations privées, homme d’état et de gouvernement, ce qui est rare, sans cesser d’être homme de famille, humain et libéral comme il convient à un enfant de la philosophie moderne, mais n’ayant pris à cette philosophie que ce qu’elle a de bon, et tout pénétré encore du grand esprit de 1789.

Il y a ici un point très délicat que je veux toucher, parce que le temps est venu de tout dire. Les deux princes ont été également accusés d’avoir pris une part trop active à la chute du gouvernement qu’ils ont remplacé ; ce reproche, parfaitement fondé pour le prince d’Orange, l’est beaucoup moins pour le duc d’Orléans. Le duc d’Orléans voyait,