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lutionnaire par ambition, il y a à Berlin, auprès du roi de Prusse, un parti moitié politique et moitié religieux, qui veut revenir le plus et le plus tôt possible à l’ancien régime, — c’est le parti piétiste, — et qui renonce aux avantages qu’on peut tirer de 1848 comme un chrétien renonce à Satan et à ses pompes. Le jour où ce parti prendra le pouvoir, et ce jour nous semble prochain, la Prusse ne renoncera pas à être ambitieuse ; mais elle renoncera aux voies que son ambition semble avoir choisies depuis deux ans.

L’autre circonstance que nous devons mentionner, et qui n’a pas non plus assurément aidé au crédit de la politique quasi-révolutionnaire en Prusse, est la visite que le prince de Prusse a faite à l’empereur de Russie à Varsovie. Que s’est-il dit dans les conférences que l’empereur de Russie a eues avec le prince de Prusse ? Personne assurément n’en sait rien, et nous avons lu tour à tour le pour et le contre dans les journaux allemands. Nous ne voulons, quant à nous, que constater deux points qui sont hors de toute contestation : le premier, c’est que le prince de Prusse a cru devoir aller conférer avec l’empereur de Russie, — et le second, c’est que dans ces conversations on n’a pas seulement parlé de la pluie et du beau temps, mais qu’on a parlé politique. Or, le premier point exprime cette sorte d’agamemnonat que les événemens font prendre en Allemagne à l’empereur de Russie. Il devient peu à peu l’arbitre des questions débattues en Allemagne. Il a donc dû apprécier la politique que la Prusse a suivie depuis un an, et comme cette politique a eu deux phases, la phase de répression de l’esprit démagogique et la phase d’appui donné à l’esprit unitaire de 1848, comme de plus le prince de Prusse représente particulièrement la première phase, puisque c’est lui qui commandait l’armée prussienne en Bade, l’empereur de Russie aura été à son aise pour approuver vivement la première phase de la politique prussienne, la seule qui soit analogue aux sentimens et aux principes bien connus de l’empereur de Russie. Quant à la seconde phase, nous ne concevons guère que le czar ait pu l’approuver, et nous étions tentés de rire quand nous lisions dans quelques journaux allemands que le prince de Prusse avait converti l’empereur Nicolas à la sainte cause de l’unité de l’Allemagne, Nous doutons sur ce point de l’apôtre d’abord, mais du prosélyte surtout. Nous sommes disposés à croire que dans ces conversations, où tous les côtés de la question allemande ont été tour à tour étudiés, le côté démagogique est celui qui a le plus attiré l’attention de l’empereur, et que, sans vouloir entrer dans l’appréciation minutieuse du parlement d’Erfurth, du congrès princier de Berlin, du congrès diplomatique de Francfort, de tous les incidens enfin du drame germanique, l’empereur de Russie a seulement demandé à la Prusse et à l’Autriche de ne rien faire qui aidât à la démagogie et qui nuisît à l’ordre social européen. Faites de l’unité, faites de la fédération, faites ce que vous pourrez ; mais ne faites rien qui serve au désordre. L’empereur de Russie a raison. La question sociale en Europe aujourd’hui prime toutes les questions politiques et dynastiques.



V. DE MARS.