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lant de l’Allemagne ou le genre de reproche que nous lui faisons, nous demandons à comparer brièvement la marche de la France et de l’Allemagne depuis deux ans. La révolution de février a été une révolution sans cause et sans but, tout le monde en convient aisément aujourd’hui. Ç’a été une surprise. Or, depuis cette surprise, que fait la France ? Elle cherche avec un courage et un bon sens qui seront fort remarqués dans l’histoire, surtout si nous parvenons à toucher le but, elle cherche à maintenir l’ordre, à réparer les maux qu’a faits février, à rétablir ou à affermir la société sur ses vieux et indispensables fondemens. Tout le monde s’emploie avec zèle à cette grande œuvre, le président de la république, l’assemblée, la presse, l’administration. Tout le monde cherche à boucher la voie d’eau qui s’est faite dans le vaisseau, et je ne connais pas de plus beau et de plus consolant spectacle que celui de ce travail de sauvetage entrepris avec tant de zèle et de persévérance. — Il eût bien mieux valu ne pas faire naufrage. — Nous sommes tout-à-fait de cet avis ; mais, une fois le naufrage accompli, il vaut mieux le réparer avec courage et avec intelligence que de le déplorer dans un désespoir inerte.

Tandis que la France remontait avec patience la pente où février l’avait mise, et retournait à l’ordre et à la régularité, que faisait l’Allemagne ? On ne peut pas dire que la révolution de 1848 n’eût en Allemagne ni cause ni but. L’Allemagne voulait depuis long-temps l’unité dans la législation et la liberté dans les parlemens. Elle n’avait guère qu’un essai d’unité dans son union de douanes ; elle voulait plus. Il n’y avait pas encore de tribune régulière et permanente à Vienne et à Berlin : elle voulait la monarchie parlementaire à Vienne et à Berlin. La révolution de 1848, en Allemagne, avait donc sa cause et son but. Malheureusement elle prit pour guide l’esprit démagogique, au lieu de l’esprit libéral, et elle manqua le but en le dépassant. On sait les confusions et les tumultes de Francfort, on sait la guerre insensée que la démagogie commença en Bade, et comment la démagogie y fut promptement vaincue et châtiée. La chute de la démagogie fut représentée par l’absolutisme, comme la chute du libéralisme. C’est alors que le libéralisme essaya, en se faisant prussien, de retrouver la force qu’il avait perdue ; mais, dans cette alliance, il arriva au libéralisme allemand ce qui arrive au cheval qui veut se venger du cerf et qui s’adresse à l’homme. L’homme le bride, le maîtrise, et s’en fait, bon gré mal gré, un serviteur, au lieu d’un allié. La Prusse, en bridant le libéralisme allemand, se fit d’abord bien venir des princes allemands. C’était leur intérêt, c’était aussi l’intérêt de la Prusse que le libéralisme allemand ne fût pas livré à tous ses essors et à tous ses emportemens. Mais, ayant un si bon coursier entre les jambes, la Prusse voulut aussi s’en servir pour faire quelques courses et quelques conquêtes sur l’Allemagne. C’est ici qu’elle trouva le coursier tantôt peu docile à ce mouvement et tantôt si bien dompté par le mors et la bride, qu’il en était affaibli et qu’il ne pouvait plus servir pour la campagne qu’on voulait lui faire faire. C’est ainsi qu’en Allemagne nous avons vu le libéralisme, non pas comme en France reprendre peu à peu ce qu’il avait perdu dans un jour de surprise, mais perdre au contraire ce qu’il avait gagné. Nous ne nions pas qu’il n’y ait plus d’ordre aujourd’hui en Allemagne qu’il n’y en avait il y a un an et surtout il y a deux ans ; mais l’ordre s’est rétabli par la résurrection de la force des gouvernemens, au lieu de se faire, comme en France, par le mouvement