Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit que s’arrogeaient les ambassadeurs de faire de leurs palais un asile inviolable. Nous verrions aujourd’hui, grace à la doctrine de lord Palmerston, ressusciter le droit d’asile : il y aurait seulement cette différence, c’est que l’ancien droit d’asile s’appliquait aux palais diplomatiques, et que le nouveau droit s’appliquerait à la personne. Un Anglais porterait partout son asile avec lui. Quoi qu’il fasse, et où qu’il aille, il serait inviolable. À Paris, on n’aurait pas le droit d’égratigner un Anglais, fût-il même derrière les barricades du 24 juin 1848 ; à Livourne, à Rome, à Messine, si l’incendie de la guerre civile brûlait les maisons des habitans et tous leurs biens, l’incendie devrait s’arrêter devant la pièce de cotonnade qui aurait l’honneur d’appartenir à un Anglais. Si tel doit être le privilège et la prérogative des Anglais sur le continent, le continent ne voudra plus les recevoir, et nous serions forcés, à notre grand regret, de prier lord Brougham de vider son château de Cannes, comme il a forcé M. de Bunsen, l’ambassadeur prussien à Londres et l’un des savans les plus distingués de l’Allemagne, de vider la place qu’il occupait dans les tribunes de la chambre des pairs ; nous serions forcés enfin d’adopter la doctrine que l’Autriche proclame dans sa note du 14 avril 1850 : « Réclamer pour les Anglais établis en pays étrangers une position exceptionnelle et vraiment privilégiée serait forcer, pour ainsi dire, les autres états à se prémunir contre les suites d’une prétention si contraire à leur indépendance, attendu qu’elles feraient, quoique à contre-cœur, d’autres conditions aux sujets anglais qu’elles consentiraient à recevoir chez elles. »

Ainsi, exagérer les privilèges de la cité anglaise, ce serait interdire aux Anglais le continent : aucun état ne les recevrait que s’ils consentaient à se dénationaliser. Que deviendrait le civis sem romanus ? Telles sont les conséquences de la doctrine de lord Palmerston. N’exagérons rien. L’Angleterre doit partout protéger ses sujets, personne n’en doute ; mais cette protection doit être équitable et modérée. Elle ne doit pas défendre à outrance les prétentions exagérées et injustes de ses nationaux. La question en Grèce est de savoir si lord Palmerston a soutenu par des moyens modérés des réclamations équitables. La chambre des lords a dit non ; la chambre des communes vient de dire oui.

Nous avons d’abord voulu mettre en lumière le point de droit international qui a été débattu ; mais nous devons reconnaître que ce point de droit a tenu une fort petite place dans le débat. Le débat, en effet, aujourd’hui n’est plus entre la Grèce et lord Palmerston, comme dans la première phase de l’affaire, ou entre la France et lord Palmerston, comme dans la seconde phase. La querelle avec la Grèce et avec la France est finie ; une autre querelle commence, tout anglaise et tout intérieure, et dont nous voulons indiquer brièvement le caractère, tel du moins que nous croyons le voir.

Et d’abord, pour le dire en passant, parce que c’est toujours bon à dire, que la justice du temps et des choses est une grande et belle justice ! Lord Palmerston n’a eu d’abord affaire qu’à la pauvre et faible Grèce. Quels dédains alors ! quels mépris de la supplication du faible ! Comme c’était bien la belle allégorie d’Homère, l’Injure au pas violent, au front hautain, laissant les Prières la suivre en vain d’un pied timide et d’une plainte étouffée ! Mais bientôt ce n’a plus été la Grèce qui était outragée : c’était la France, et aujourd’hui c’est la chambre des lords. Eh bien ! où sont maintenant les défis de l’Injure ?