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qu’auraient pu nous donner le dépit et la réconciliation des deux amans s’efface devant cette misérable conclusion. Deux amans qui prennent le rôle d’entremetteurs ne sauraient être acceptés pour des amans sérieux.

Ainsi, tout en reconnaissant l’élégance générale de la versification, je ne peux pas même accepter cette prétendue comédie comme un mauvais ouvrage. La méprise est si complète, l’amplification tellement inutile, la conclusion tellement contraire au bon sens, que le poème de M. Ponsard se réduit à rien. J’ai peine, je l’avoue, à comprendre comment l’auteur de Lucrèce et de Charlotte Corday a pu se tromper si étrangement. Je lui pardonnerais volontiers d’avoir rajeuni Horace de vingt ans, car cette violation de la vérité historique échappe nécessairement aux trois quarts, je pourrais dire aux neuf dixièmes de l’auditoire ; mais je ne lui pardonne pas d’avoir fait d’une ode d’Horace une scène de trumeau que les derniers élèves de Boucher ou de Watteau refuseraient de signer. C’est bien la peine vraiment d’étudier les œuvres de la poésie antique pour les défigurer si maladroitement !

Mlle Rachel, qui avait si follement refusé le rôle de Charlotte Corday, a-t-elle demandé à M. Ponsard le rôle de Lydie pour expier son refus insensé ? On le dit, et les amis du poète et de la comédienne se plaisent à le répéter. Si le bruit est vrai, je ne puis que plaindre la comédienne et le poète, car l’un et l’autre s’abusent sur la nature de leurs facultés et sur les dispositions du public. M. Ponsard, dont le talent mérite l’estime de tous les hommes sérieux, ne me semble pas appelé à la comédie. En nous montrant Horace coiffé de roses, quand le goût voulait nous le montrer couronné, en traitant Calaïs d’imbécile, en mêlant le style trivial au style soutenu, il ne change pas sa nature, qui le destine à l’expression des sentimens sérieux. Quoi qu’il fasse et qu’il tente, le rire ne lui convient pas. Il ne rit pas d’un rire assez franc pour provoquer le rire. Et lors même que Mlle Rachel aurait demandé le rôle de Lydie pour racheter la faute qu’elle avait commise en refusant le rôle de Charlotte Corday, cette prière ne pouvait être acceptée comme une réparation ; car Mlle Rachel eût donné à Charlotte Corday la physionomie virile que l’histoire a consacrée, que le poète a clairement exprimée, et le rôle de Lydie, qui n’est rien, devait demeurer ce qu’il est, même entre les mains de Mlle Rachel.

Cette double méprise du poète et de la comédienne nous amène à parler d’une méprise qui n’appartient ni à l’un ni à l’autre. Si M. Ponsard s’est trompé, si Mlle Rachel s’est trompée, il faut dire que le public ne se trompe pas moins singulièrement. Le public, en applaudissant Mlle Rachel dans le Moineau de Lesbie, paraphrase incolore d’une pièce de Catulle, lui a persuadé qu’elle animerait tous les débris de l’antiquité auxquels il lui plairait de toucher. Mlle Rachel s’est crue appelée à traduire la tendresse, la coquetterie, qui ne trouveront jamais dans sa voix stridente, dans son masque tragique un docile interprète. Le public avait battu des mains, et les panégyristes avaient même poussé l’engouement jusqu’à proclamer Mlle Rachel plus belle et plus admirable dans le rôle de Lesbie que dans le rôle d’Hermione ou de Roxane, de Camille ou d’Émilie. Comment se fût-elle défiée de ses forces ? Comment eût-elle refusé de croire à l’universalité de son talent ? Il serait temps vraiment que l’engouement public s’attiédît un peu et se rendît aux conseils de la raison. Sans doute Mlle Rachel est douée d’un talent très réel ; mais ce talent, qu’on y prenne garde, n’est pas