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C’est ainsi que, dans cette ardente pensée, les catastrophes s’enchaînent, les désastres politiques naissent d’un désastre moral. Tout se tient, tout se lie ; à chaque abdication de quelque loi supérieure correspond un désordre qui, en se multipliant sans cesse, finit par devenir la maladie de toute une civilisation. À ces périls et à ces maux que décrit M. Donoso Cortès, quel sera le remède ? Est-ce aux réformes économiques que l’Europe devra son salut ? Impuissant palliatif ! On a semblé imputer au publiciste espagnol une singulière opinion qui consisterait à nier l’utilité et l’efficacité de toute économie publique ; c’est se donner beau jeu pour le réfuter. Ce n’est point, selon sa propre expression, « que les gouvernemens ne doivent pas s’occuper des questions économiques, qu’il soit indifférent pour les peuples d’être mal administrés dans leurs intérêts ; » ce qu’il affirme, c’est que chaque vérité doit avoir sa place dans la hiérarchie des vérités sociales, et que la vérité économique ne vient qu’après d’autres plus essentielles. Le ministre de la dernière monarchie qui disait : Faites-moi de la bonne politique, je vous ferai de bonnes finances ! que faisait-il autre chose que constater ce caractère subalterne de la question économique ? Et le jour où les rangs ont été intervertis, où on a paru prendre assez aisément le deuil des autres vérités fondamentales pour accorder la prépondérance à la vérité économique, c’est-à-dire au soin des intérêts matériels, je vous laisse à dire quel a été le véritable vainqueur, si la route n’a point été aplanie devant le socialisme, qui, comme science, est la déification de ces intérêts. La pensée de M. Donoso Cortès n’est point autre. Si les réformes économiques sont insuffisantes, sera-ce la force qu’il faudra invoquer ? Des esprits aussi puérils que pervers s’amusent parfois à travestir ceux qui s’instituent les défenseurs du principe d’autorité en adorateurs de la force. Oui, sans doute, les armées sont aujourd’hui la sauvegarde de la civilisation, moins encore, à vrai dire, parce qu’elles sont le nombre et la force organisés que parce qu’elles sont le refuge de la discipline, de l’obéissance, de l’abnégation, de la foi au devoir, qui doublent leur ascendant dans la décomposition universelle, et rendent leur action salutaire ; mais c’est une question qu’on peut hardiment poser, de savoir combien de temps peut se prolonger cet état exceptionnel d’armées vivant par l’obéissance, la discipline, l’idée du devoir, au milieu d’une société qui continuerait à nourrir la haine de ces choses sacrées ; et si là aussi pénétrait la dissolution, ce n’est point la moralité seulement qui manquerait à la force, ce serait l’efficacité elle-même. Est-ce enfin par la vertu d’une forme particulière de gouvernement qu’elle n’a pas, que la société retrouvera soudainement la vie et la prospérité ? Pour avoir cette foi absolue, à une forme politique, y avez-vous songé ? Voici quelque soixante ans que toutes les formes de gouvernement ont été essayées, expérimentées, rejetées comme des vêtemens hors d’usage,