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révélation de notre manière d’entendre la liberté. Nous appelons ainsi cet étrange plaisir de forcer tous les ressorts de la vie publique, d’être constamment à essayer jusqu’à quel point la chaîne peut être tendue sans rompre, à mesurer le degré où on peut s’agiter sans qu’il en résulte un cataclysme universel. Le principe de cette liberté révolutionnaire, c’est l’ivresse du droit individuel affranchi de toute notion positive du devoir, ne reconnaissant théoriquement pour limite ni le droit de Dieu, ni le droit social, ni même le droit d’autrui ; c’est une haine funeste pour toute règle intérieure, pour tout frein religieux, pour tout lieu moral. L’homme a commencé d’abord par s’affranchir du frein religieux, du frein moral, et il a imaginé marcher dans les vraies routes de la liberté ; seulement il ne s’est point aperçu que plus cet affranchissement intérieur était complet, plus il rendait nécessaire, si la société voulait vivre, le développement d’une autorité publique capable de suppléer à la discipline religieuse et morale par la discipline extérieure. Qu’est-il sorti de là ? Il en est résulté ce singulier état de choses où l’on peut paisiblement et librement nier Dieu, démontrer que les vertus les plus pures sont la plus ridicule des chimères, disserter sur les moyens de perfectionner le mariage et la famille, et où cinq hommes ne peuvent s’assembler sans une autorisation de la police, où vous risquez, faute d’un passeport et avec un peu de malheur, d’être conduit de brigade en brigade d’un bout du pays à l’autre, où chacun de vos actes est visé, timbré, paraphé pour l’édification des pouvoirs, qui ont d’ailleurs grande raison à l’heure où nous sommes. D’où il suit que le despotisme politique est la conséquence essentielle des révolutions. Et ne dites point que si elles suivaient leur cours, si elles se conformaient à leur principe, il en serait autrement, parce que les révolutions sont les seules époques où la dictature soit dans l’air en quelque sorte, et les révolutionnaires ne sont point les derniers à la revendiquer, l’histoire et les conjonctures présentes l’attestent. Le fondement des erreurs de tous les révolutionnaires, dit M. Donoso Cortès, c’est qu’ils ne savent pas quelle est la direction de la civilisation et du monde, ils croient que le monde et la civilisation progressent quand ils reculent, — et l’auteur développe avec une étrange éloquence cette coïncidence de l’accroissement de la répression politique avec l’affaiblissement de la répression religieuse intérieure ; il montre, selon son expression, le thermomètre politique s’abaissant ou s’élevant dans la même proportion où le thermomètre religieux s’élève ou s’abaisse. Il suit l’histoire de période en période, d’abord à travers l’antiquité, où, la répression religieuse intérieure n’étant point connue, le pouvoir monte jusqu’à la tyrannie, — puis à travers les temps apostoliques, où, cette répression nouvelle étant encore dans toute sa puissance, les premières sociétés chrétiennes ont à peine besoin d’un gouvernement, et enfin il conduit son parallélisme jusqu’à nos origines plus modernes.