Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus ridicules, plus aveugles et plus insensés. Triomphante espèce d’hommes que vous avez vus à l’œuvre ! Glorieuse bande de héros de l’abstraction et du plagiat révolutionnaire, que tous les pays et toutes les époques, à ce qu’il paraît, doivent subir à leur tour, et que l’auteur, quand il les dépeignait ainsi, avait sous les yeux en Espagne, — dans cette fantastique Espagne de 1836, où vous voyez se relever au bout de la baïonnette du sergent Garcia la constitution de 1812 !

Le talent de M. Donoso Cortès a pu quelquefois paraître étrange, au-delà des Pyrénées même, soit dans les brillans développemens de ses leçons de l’Athénée, soit dans les morceaux sur l’histoire ou sur la littérature qui se sont succédé sous sa plume d’écrivain, soit dans les polémiques qu’il a entretenues un moment dans des journaux tels que le Porvenir ou le Piloto ; il a pu même n’être pas toujours compris. Cela n’a rien de surprenant peut-être dans les conditions intellectuelles où la Péninsule a long-temps vécu, conditions en quelque sorte nécessaires d’imitation, où l’originalité pouvait sembler un phénomène plus rare. L’originalité, ressaisie plus spécialement en littérature de nos jours, n’apparaît point au même degré dans les travaux politiques, — bien moins encore dans la philosophie. De philosophie, à vrai dire, il n’y en a point au-delà des Pyrénées, ou plutôt il n’y en a qu’une, la seule d’accord avec le génie espagnol ; c’est la pensée catholique restée longtemps sans organes et qui en a retrouvé deux pleins de puissance dans ces dernières années : — l’un, M. Donoso Cortès lui-même, — l’autre, don Jaime Balmès, ce prêtre catalan que l’intensité de la vie intérieure a tué avant l’âge, et qui a laissé une forte empreinte dans son pays. Ce qu’on peut ajouter, quant à M. Donoso Cortès, c’est que, s’il a trouvé une source nouvelle d’inspiration au contact de cette pensée catholique, il a abordé cet ordre d’interprétations avec un talent déjà mûr, nourri d’une savante culture littéraire, et familiarisé, à un autre point de vue, avec les grands problèmes de la civilisation, avec cette science qu’on a nommée la philosophie de l’histoire. Il a porté dans cet ordre d’idées un esprit novateur, à beaucoup d’égards original, et qui a eu même à créer sa langue. Comme écrivain, M. Donoso Cortès est un de ces généralisateurs chez qui domine une tendance instinctive à élever les questions, à en saisir les grands côtés, à remonter à la loi supérieure des choses et à préciser les résultats de leurs investigations sous une forme méthodique et brillante à la fois. Une de ses premières préférences intellectuelles a été pour Vico, auquel il a consacré une belle étude, comme aujourd’hui il pourrait naturellement invoquer Bossuet, l’homme « qui a le mieux parlé de Dieu aux autres hommes, » ainsi qu’il le dit. Prenez les divers écrits de M. Donoso Cortès, — essais sur l’histoire, sur la politique, sur la philosophie, sur la littérature même : la pensée s’y enchaîne dans une série de déductions dogmatiques,