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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE EN PERSE.


chemin et venait voir ces belles ruines. Les colonnes, qu’on aperçoit de quatre ou cinq lieues, m’amenaient de loin en loin quelques visiteurs. Il va sans dire que c’était toujours des Persans ; depuis long-temps déjà je n’espérais plus voir ma retraite partagée par un Européen. Je remarquai que les Persans ne manquaient jamais de tout examiner, et qu’ils cherchaient à comprendre les bas-reliefs, qui fixaient principalement leur attention. Ils exprimaient par leurs vaïh ! vaïh ! exclamations d’étonnement répétées, l’admiration que leur inspiraient ces innombrables sculptures. Ils venaient toujours me saluer et causer avec moi. Tout en examinant mon travail, ils m’accablaient de questions sur ces ruines, sur ce que je faisais, sur l’utilité des études auxquelles je me livrais. Ils ne pouvaient comprendre que j’eusse traversé les mers, que je fusse venu si loin de mon pays dans l’unique intention de retracer ces restes antiques. Ce qui redoublait encore leur surprise, c’était notre établissement sur les lieux mêmes, notre camp au milieu des ruines. Ils ne s’expliquaient pas le séjour prolongé que nous y faisions dans des conditions si peu commodes et si peu sûres. La conséquence qu’ils en tiraient et qu’ils m’exprimaient avec un certain orgueil, c’est qu’il n’y avait dans mon pays rien d’aussi beau, d’aussi grand que ces monumens. Avec la naïveté de gens qui ignorent les fruits et les besoins de notre civilisation, ils ne donnaient à notre voyage, à notre présence à Persépolis, d’autre but que le stérile désir de voir quelque chose de plus beau que tout ce qu’il y avait en France ou en Europe. Ils ne savaient point y découvrir un autre mobile, cette irrésistible passion du savant ou de l’artiste qui les entraîne à rechercher, même dans les débris en apparence les moins dignes d’attention, les traces d’un art qu’ils ont perfectionné, les origines d’une science dont ils ont hâté les progrès.

Au reste, je prenais moi-même plaisir à questionner ces visiteurs persans. Je les trouvais tous dans une ignorance complète au sujet de l’histoire de leur pays et de celle de ses monumens. Leurs idées confuses se perdaient dans un pêle-mêle de fables sans nombre rattachées à quelques faits. Ils attribuaient tous la construction de ce palais à Djemchid ; mais ils entouraient l’existence de ce personnage de tant de contes absurdes, ils donnaient à la durée de son règne tant de siècles, qu’il était impossible de reconnaître dans la figure qu’ils en traçaient rien qui rappelât un des princes dont les historiens nous ont conservé le souvenir. Les Persans aiment trop le surnaturel pour se préoccuper sérieusement de dégager les faits historiques du chaos des traditions fabuleuses. Les voyageurs que j’interrogeais ne savaient rien de précis ni sur l’origine ni sur la destruction des palais de Persépolis. Tous avaient cependant entendu parler d’un conquérant nommé Iskander, et dans lequel je reconnaissais sans peine Alexandre. Si peu intéressans que fussent pour moi des récits où se trahissait toujours l’igno-