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au-dessus des marécages de la plaine les quinze colonnes encore debout. Leurs fronts dorés semblaient, comme des miroirs, réfléchir les rayons du soleil couchant. Les ombres grandissaient rapidement, glissaient le long des élégantes cannelures, qui, bientôt éteintes elles-mêmes et sombres, ressortaient sur les roches encore brillantes de la montagne voisine. La montagne s’obscurcit à son tour, et il faisait nuit quand nous nous trouvâmes au milieu de ces antiques restes de la splendeur royale qu’Alexandre a fait crouler dans la poussière. Le vol des hiboux et le pas craintif des chacals sortant de leurs tanières troublaient à peine le silence de ces lieux. L’heure, la solitude, tout contribuait à leur donner un aspect triste et sévère.

Nous étions là en présence des antiquités les plus remarquables, non-seulement du district de Merdâcht, mais encore de toute la Perse. Persépolis, c’est la ville par excellence, la ville royale. Ce nom, qui devait, dans l’esprit des auteurs anciens, s’appliquer à la capitale dans toute son étendue, s’est restreint peu à peu et ne désigne plus aujourd’hui conventionnellement que le groupe des monumens qui représentent l’immense palais des rois de Perse. On ne peut disconvenir que cette restriction irrationnelle laisse un peu de confusion dans l’esprit au sujet de ces ruines, et qu’en adoptant la désignation de Persépolis pour les palais seuls, on s’expose à faire croire qu’il n’y avait là autrefois qu’une résidence royale. Selon moi, les Persans font entre toutes les antiquités de ce district une distinction qui est bien plus raisonnable : ils donnent à chaque groupe, à chaque monument son nom, sa désignation particulière ; ils appellent celui-ci Tâkht-i-Djemchid, littéralement : Trône de Djemchid, et en d’autres termes Palais de Djemchid ; ils lui donnent aussi quelquefois le nom de Tchehel-Minâr, Tchehel-Sutoûn (les quarante colonnes), par allusion au grand nombre des colonnes qui étaient comprises autrefois dans ces palais ; mais ce nombre de quarante est tout-à-fait arbitraire, et il faut reconnaître d’ailleurs que cette dénomination de Tchehel-Minâr est banale. Les Persans la donnent également à d’autres édifices modernes qui n’ont aucune espèce de rapport avec ceux-ci. L’appellation de Tâkht-i-Djemchid a le double avantage d’être la plus usitée en Perse, et d’y être exclusivement réservée à ces palais. Elle sert à les distinguer de toutes les autres ruines du même temps et empêche de confondre ces édifices avec d’autres qui ne sauraient être pris pour les restes imposans et majestueux de la demeure des successeurs de Cyrus.

Après nous être abandonnés aux premiers élans d’une juste admiration pour ces belles ruines, nous songeâmes à nous y établir. Il nous fallait y trouver une assiette commode pour un campement, et qui nous mît à l’abri d’un coup de main nocturne. Nous devions faire sur l’emplacement de Persépolis un long séjour. Notre arrivée devait être