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se demander avec crainte si cette cantatrice élégante réussirait à s’approprier le style contenu de la musique française ; mais depuis cette épreuve solennelle d’où Mlle Alboni est sortie presque triomphante, aucune inquiétude bien sérieuse ne pouvait exister sur le succès qui l’attendait dans la Favorite. Ce n’est pas que le rôle de Léonor ne présente aussi des difficultés de plus d’un genre : si la musique de Donizetti est mieux écrite pour la voix que celle de M. Meyerbeer, en général elle exige une jeunesse de sentiment, un élan, un rayonnement dans la passion que ne comporte pas le caractère chaste et réservé de Fidès ; et puis Mlle Alboni avait à lutter contre les souvenirs laissés par Mme Stolz dans le rôle de Léonor, qu’elle a créé en lui imprimant une physionomie énergique qui plaisait beaucoup à une certaine partie du public parisien. Quoi qu’il en soit, hâtons-nous de dire que la cantatrice italienne a triomphé encore une fois d’un grand nombre de difficultés, et qu’elle a dissimulé avec assez d’adresse les défauts inhérens à sa nature et à son éducation. Mlle Alboni est une cantatrice di mezzo caratere, c’est-à-dire un talent doux et tempéré où dominent la grace et l’expression des sentimens aimables et affectueux. Sa belle voix, qui se compose de deux registres extrêmes, est dépourvue de medium, de deux ou trois notes qui seraient nécessaires pour relier le registre supérieur avec celui de contralto ; qui est la partie saillante de ce bel instrument. Il en résulte que Mlle Alboni est obligée de franchir ce précipice avec une vélocité qui fait parfois illusion au public, mais qui ne trompe pas le vrai connaisseur. Lorsqu’il faut attaquer un de ces cantabile qui s’épanouissent sur les cordes vibrantes du médium de la voix et, qui sont tout-à-fait sourdes dans l’organe de Mlle Alboni, la cantatrice faiblit tout à coup et manque l’effet désiré. Elle est bien heureuse lorsqu’elle peut, comme Antée, toucher la terre de son pied léger et faire résonner ses belles notes de contralto do, ré, mi, fa, lesquelles, mises en opposition avec le registre de tête, qui est un peu aigrelet, produisent un contraste qui étonne et charme l’auditoire. On pourrait reprocher à Mlle Alboni d’abuser un peu de cet artifice commode, dont l’effet de surprise tient plus au caractère physique de l’organe qu’à la fécondité de sa fantaisie. Mlle Alboni ; il faut le dire, n’est pas très riche en combinaisons vocales ; son écrin ne renferme guère que deux ou trois joyaux, qu’elle se plait à faire scintiller tour à tour aux yeux du public. En général, Mlle Alboni manque d’invention. Intelligente, persévérante dans ses efforts, elle parvient à surmonter certaines difficultés d’un ordre secondaire, mais elle n’a pas de ces soudainetés radieuses qui sortent du cœur comme une flamme comprimée. On a beau faire, les ingénieuses combinaisons de la fantaisie et de l’esprit ne peuvent pas tenir lieu de l’émotion absente.

Ces réserves faites, nous pouvons dire que Mlle Alboni est charmante dans la Favorite. Elle chante à ravir tout ce qu’il est possible de chanter, elle traverse courageusement les flammes de la passion, et, quand elle a échappé heureusement à leur atteinte, elle a l’air de dire joyeusement au public : Vous voyez que je ne me suis pas brûlée et que ma tunique est intacte. Soyons justes. Mlle Alboni chante d’une manière tout-à-fait nouvelle l’air du troisième acte O mon Fernand ! Elle restitue à Donizetti un des plus beaux morceaux de la partition, que Mme Stolz avait complètement défiguré. Et puis, voyez comme elle est également admirable dans le duo final ! Hélas ! pourquoi faut-il que Léonor, au milieu des transports qu’elle éprouve, ne puisse pas oublier Mlle Alboni