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que l’autre a commencé au moyen de la juste disposition des lignes ; c’est la perspective, en un.mot, qu’il faut mettre non pas dans l’esprit, mais dans l’œil de l’élève. Vous ne m’apprenez, dirai-je au maître, avec vos proportions exactes et votre perspective par a plus b, que des vérités ; et dans l’art tout est mensonge : ce qui est long doit paraître court, ce qui est courbe paraîtra droit, et réciproquement. Qu’est-ce en définitive que la peinture dans sa définition la plus littérale ? L’imitation de la saillie sur une surface plane. Avant de faire de la poésie avec la peinture, il faut avoir appris à faire venir les objets en avant ; il a fallu des siècles pour en arriver là. On a commencé par un trait sec et aride, on a fini par les merveilles de Rubens et du Titien, dans lesquels les parties saillantes comme les simples contours, prononcés chacun dans la mesure convenable, sont arrivés à cacher l’art tout-à-fait à force d’art : voilà le nec plus-ultrà, voilà le prodige, et ce prodige est le fruit de l’illusion.

Donnez, dirai-je encore avec Mme Cavé, un morceau d’argile à un paysan en lui demandant d’en former une boule : le résultat sera tant bien que mal une boule. Présentez à ce sculpteur improvisé une feuille de papier et des crayons, et demandez-lui de résoudre le même problème avec des instrumens d’une autre espèce en traçant sur le papier et en arrondissant l’objet au moyen du blanc et du noir : vous aurez peine à lui faire concevoir seulement ce que vous exigez de lui ; il faudra des années pour qu’il arrive à modeler un peu passablement à l’aide du, dessin.

Mme Cavé ne s’occupe donc qu’à rendre l’œil juste. Grace à sa méthode, qui est la simplicité même, les proportions, la tournure, la grace, viendront d’elles-mêmes se tracer sur le papier ou sur la toile. Au moyen d’un calque de l’objet à représenter pris sur une gaze transparente, elle donne à son élève la compréhension forcée des raccourcis, cet écueil de toute espèce de dessin ; elle accoutume l’esprit à ce qu’ils offrent de bizarre et même d’incroyable. En faisant ensuite répéter de mémoire ce trait en quelque sorte pris sur le fait, elle familiarise de plus en plus le commençant avec les difficultés : c’est appeler la science au secours de l’expérience naissante et ouvrir du même coup à l’élève la carrière de la composition, laquelle serait fermée à jamais sans le secours du dessin de mémoire.

Conduits par une idée analogue, beaucoup d’artistes ont eu recours au daguerréotype pour redresser les erreurs de l’œil : je soutiendrai avec eux, et peut-être contre l’opinion des critiques de la méthode d’enseignement par le calque à la vitre ou par la gaze, que l’étude du daguerréotype, si elle est bien comprise, peut à elle seule remédier aux lacunes de l’enseignement ; mais il faut déjà une grande expérience pour s’en aider convenablement. Le daguerréotype est plus que le calque, il est le miroir de l’objet ; certains détails, presque toujours négligés dans les dessins d’après nature, y prennent une grande importance caractéristique, et introduisent ainsi l’artiste dans la connaissance complète de la construction : les ombres et les lumières s’y retrouvent avec leur véritable caractère, c’est-à-dire avec leur degré exact de fermeté ou de mollesse, distinction très délicate et sans laquelle il n’y a pas de saillie. Il ne faut pourtant pas perdre de vue que le daguerréotype ne doit être considéré que comme un traducteur chargé de nous initier plus avant dans les secrets de la nature : car, malgré son étonnante réalité dans certaines parties, il n’est encore qu’un