Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est lui qui a eu la peine et le véritable travail. Le poète Gray disait qu’il ne demandait pour sa part dans le paradis que la liberté de lire à son aise, étendu sur un canapé, des romans de son goût ; c’est le plaisir du faiseur de copies. Ç’a été le délassement des plus grands maîtres, et c’est une conquête facile pour le talent qui s’essaie encore comme pour l’amateur qui n’aspire pas à vaincre les dernières difficultés.

Chez les anciens ; la connaissance du dessin était aussi familière que celle des lettres : comment supposer qu’elle n’était pas, comme ces dernières, un des principes de l’éducation ? Les merveilles d’invention et de science qui brillent, je ne dirai seulement pas dans les restes de leur sculpture, mais dans leurs vases, dans leurs meubles ; dans tous les objets à leur usage, attestent que la connaissance du dessin était aussi répandue que celle de l’écriture. Il y avait plus de poésie chez eux dans la queue d’une casserole et dans la plus simple cruche que dans les ornemens de nos palais. Quels connaisseurs ce devait être que ces Grecs ! Quel tribunal pour l’artiste qu’un peuple de gens de goût ! On a répété à satiété que l’habitude de voir le nu les familiarisait avec la beauté et leur faisait apercevoir facilement les défauts dans les ouvrages des peintres et des sculpteurs : c’est une grande erreur de croire qu’il fût aussi commun que nous nous l’imaginons de rencontrer le nu chez les anciens ; l’habitude de voir les statues a enraciné ce préjugé. Les peintures qui nous restent des anciens nous les montrent dans la vie ordinaire, vêtus de la manière la plus variée, affublés de chapeaux, de souliers et même de gants. Les soldats romains portaient des culottes ; les Écossais, en ceci, sont plus voisins de la simple nature ; les gens riches ; qui affectaient les mœurs des Asiatiques, étaient accablés, comme nous voyons les rajahs de l’Inde, sous les ajustemens mis les uns sur les autres, sans compter les colliers, les agrafes ornées, les coiffures variées. En supposant d’ailleurs que leurs jeux publics et les exercices de gymnastique auxquels ils se livraient habituellement aient pu mettre sous leurs yeux un peu plus souvent que cela n’arrive chez les modernes des corps en mouvement et entièrement nus, est-ce une raison suffisante pour leur attribuer une parfaite connaissance du dessin ? Tout le monde chez nous se montre la figure découverte, la vue de tant de visages forme-t-elle beaucoup de connaisseurs dans l’art du portrait ? La nature étale libéralement à nos yeux ses paysages, et les grands paysagistes n’en sont pas plus communs.

Apprenez à dessiner, nous, dit l’auteur du Dessin sans Maître, et vous aurez votre pensée au bout de votre crayon, comme l’écrivain au bout de sa plume ; apprenez à dessiner, et vous emporterez avec vous, en revenant d’un voyage, des souvenirs bien autrement intéressans que ne serait un journal ou vous vous efforceriez de consigner chaque jour ce que vous avez éprouvé devant chaque site, devant chaque objet. Ce simple trait de crayon que vous avez sous les yeux vous rappelle, avec le lieu qui vous a frappé, toutes les idées accessoires qui s’y rattachent, ce que vous avez fait avant ou après ; ce que votre ami disait près de vous, et mille impressions délicieuses du soleil, du vent, du paysage lui-même, que le crayon ne peut traduire. Il y a plus : vous faites éprouver au retour à l’ami qui n’a pu vous suivre une partie de vos émotions, car quelle est la description écrite ou parlée qui a jamais donné une idée nette de l’objet décrit ? J’en appelle à tous ceux qui ont lu avec délices, comme je l’ai fait moi-