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— les officiers retraités de terre et de mer, depuis le grade de capitaine inclusivement, — les avocats, médecins, chirurgiens et pharmaciens ayant au moins une année d’exercice, — les professeurs et instituteurs de tout établissement d’éducation subventionné par l’état, la province ou la commune, enfin les architectes, peintres et sculpteurs appartenant aux sociétés des beaux-arts.

Il serait, comme on voit, difficile au libéralisme le plus méticuleux d’inventer un cercle de capacités plus large. La dépendance des employés en activité y est au moins contrebalancée par celle des employés et des officiers en retraite. Les deux grands élémens d’opposition, le clergé, qui pourrait seul personnifier les regrets absolutistes, et la classe indisciplinée et lettrée des docteurs, licenciés, avocats, médecins, etc., qui est partout le principal foyer des impatiences progressistes, y règnent sans contrepoids. Le cens réduit de cinquante francs ne saurait être une cause d’élimination ni pour les avocats et médecins, qui sont astreints à une patente bien supérieure à ce chiffre, ni pour les curés, qui, beaucoup plus inamovibles en Espagne qu’en France, deviennent presque tous propriétaires dans leurs paroisses. Ajoutons que, dans beaucoup de paroisses, le revenu de la cure se compose en bonne partie de l’usufruit d’une propriété foncière, de sorte que le desservant est, dans ce cas, censitaire-né. L’opposition espagnole n’a donc pas le droit de dire que le système électoral lui fait la partie inégale. Bien au contraire : ce système ne pourrait être élargi qu’au détriment des progressistes. Nous avons eu souvent l’occasion d’expliquer comment les masses, qui constituent partout ailleurs l’armée révolutionnaire, sont en Espagne les alliées naturelles du gouvernement. Complètement indifférentes à la politique spéculative, elles sont d’avance acquises au drapeau qui saura le mieux les soustraire aux réquisitions d’hommes et d’argent qu’entraîne la guerre civile.

Les circonstances au milieu desquelles s’est accomplie cette épreuve décisive des élections de 1850 n’étaient pas moins favorables à l’opposition que ne l’était la loi électorale. La transition de l’ancien système d’impôts à celui qu’a introduit en 1845. M. Mon est nécessairement pénible. Il n’est sorte de ruses et de fraudes qu’épargnent la plupart des contribuables pour se soustraire à la nouvelle répartition, et les contribuables de bonne foi paient les frais de ces exemptions frauduleuses, de sorte que les administrations fiscales sont placées, pour quelque temps encore, dans la double nécessité de lutter contre les trois quarts du pays et d’indisposer ouvertement l’autre quart. La réforme des tarifs de douane, qui n’a pas encore eu le temps de produire ses résultats économiques, et qui ne sert, en attendant, qu’à réduire les bénéfices des nombreux marchands qui spéculaient sur la contrebande, semblait encore de nature à soulever contre le ministère des mécontentemens nombreux. Le ministère avait en outre contre lui son propre succès : on pouvait raisonnablement croire que, devant l’effacement des deux factions et après dix-huit mois de calme exceptionnel, le parti modéré, si compacte en 1848, s’était quelque peu désagrégé. L’apparition récente de ce cryptogame politique qui s’appelle le parti conservateur-progressiste, moisissure révélatrice qui germe à la surface de tout esprit public en décomposition, semblait justifier ces craintes. Dans beaucoup de collèges enfin, les néo-conservateurs et les exaltés s’étaient ouvertement coalisés, mais en réservant mutuellement leurs principes, de façon qu’ils avaient