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champs et à franc étrier : heureuses gens d’ailleurs, dont toutes les œuvres gardent ce constant caractère que leur personne en est toujours le premier personnage. Encore une fois, ces gens-là sont pour quelque chose dans ce phénomène assez bizarre que nous voyons apparaître sur tous les points de notre horizon, dans ce besoin tapageur d’une politique qui soit d’une certaine façon dont nous ne sommes pas nous-mêmes. Ce besoin cependant est à présent devenu trop général pour ne pas tenir à quelques penchans intimes du public français, et nous rangeons décidément parmi les traits mobiles de notre physiologie nationale ce trait, qui lui appartient incontestablement dans le quart d’heure où nous sommes, d’être censés vouloir une politique dont notre nature ne veut pas.

Où donc en est aujourd’hui notre pauvre nature ? Hélas ! nous n’avons plus qu’un tempérament fort réduit. Nous avons été si souvent et si rudement battus de l’orage, que tout ce que nous demandons, c’est que l’orage ne recommence pas. Nous sommes les plus persuadés du monde que, si tant est que nous soyons abrités, l’abri ne vaut pas cher : ce n’est point une maison de granit, c’est encore moins un toit doré ; mais il a l’air de nous couvrir, et nous nous déclarons satisfaits, ne fût-ce que pour n’avoir point le chagrin de convenir qu’il ne nous couvre guère, lorsque nous nous sentons si peu capables de chercher un meilleur refuge. Ce sentiment, à coup sûr, n’est pas digne des hommes de Plutarque ou des dieux d’Homère. C’est que nous avons fini notre Iliade, c’est que nous sommes fort empêtrés de notre Odyssée. Egarés et marris, nous n’avons pas même la consolation de prendre au sérieux les guides qui nous proposent de nous tirer du labyrinthe, parce que nous savons trop que ce ne sont pas les guides sérieux qui s’offrent. Nous campons en attendant, et tous les matins, en dressant notre tente, nous prions Dieu qu’elle puisse prendre racine.

Consultez un passant, un passant du moins qui ait un atelier, un champ, une boutique, rien que ses bras même, si ce sont des bras travailleurs ; dites-lui Citoyen, monsieur, mon ami, par où voudriez-vous bien qu’on sauvât la patrie ! Je ne réponds pas qu’il ne vous débite d’abord son grand remède, sa solution tante faite, l’une ou l’autre des trois ou quatre solutions absolues dont on a le choix pour le moment. Poussez-le cependant un peu plus loin. Otez-lui cette espèce d’enveloppe toujours timbrée du même timbre qu’il est d’habitude d’endosser pour se reconnaître entres gens d’une même opinion : suppliez-le de ne vous parler ni comme républicain, ni comme légitimiste, ni comme bonapartiste, ni comme orléaniste, mais tout bonnement en sa qualité d’homme, de vous avouer tout de suite en conscience le genre de mouvement qu’il aimerait le mieux avoir à se donner : — Ah ! soupirera-t-il, si seulement on pouvait ne pas me remuer du tout ! — On n’a point assurément le droit de prétendre que cet homme naïf soit un citoyen par excellence ; il n’en est pas moins vrai qu’il est par excellence le citoyen de ce temps-ci. Nous ne le vantons pas, nous n’avons pas le cœur à le vanter ; nous le prenons tel qu’il est, et nous ne le déguisons point, parce que nous ne voyons pas ce qu’on peut gagner à le supposer autre.

Tel qu’il est cependant, avec la sagesse franchement assez débile qui lui reste pour se conduire, avec cet amour un peu malingre du repos quand même, avec sa rage (c’est la seule qu’il ait) d’ajourner et de temporiser, on le repaît,