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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 septembre 1850.

Il est une thèse qu’on a soutenue quelquefois et qui ne laisse pas d’avoir du vrai, quoiqu’elle ait surtout de l’esprit : c’est que la société se donne volontiers une littérature qui ne lui ressemble point, romanesque et chevaleresque par exemple — si elle est elle-même prosaïque et bourgeoise, mignarde et frivole lorsqu’elle sera, je suppose, sérieuse et affairée, ou bien échevelée, sanglante et terrible, afin de plaire à des pacifiques de profession. L’on aimerait donc, selon cette ingénieuse hypothèse, à vivre en quelque sorte en partie double, et l’on se peuplerait l’imagination d’aventures héroïques, rien que pour faire diversion au terre à terre où l’on mène à petits pas son petit train d’homme rangé. Ce qu’on a dit ainsi de la littérature, nous le dirions plutôt encore aujourd’hui de la politique, la politique étant au surplus tombée, comme chacun sait, et beaucoup trop, et par mille raisons plutôt que par une, dans les conditions du pur domaine littéraire. Oui, en vérité, quand nous écoutons bien tous les échos qui se croisent autour de nous, quand nous entendons Les grandes nouvelles du jour et les sourdes rumeurs du lendemain ; quand nous les comparons à la situation réelle des esprits et des choses, nous ne pouvons nous empêcher de croire que l’on s’arrange une politique pour rire, ou, si l’on veut, pour pleurer, tant ce qu’on rapporte ou ce que l’on croit, tant ce qu’on se figure espérer ou craindre diffère profondément de ce qu’on est.

Il y a là sans doute de la faute des littérateurs qui ont envahi la politique, et qui, la trouvant une besogne trop simple pour l’opulence de leur cerveau, la surchargent de leurs inventions. Nous ne parlons pas ici seulement des littérateurs qui en sont restés à la plume, et dont tout le privilège est de fabriquer les histoires courantes : nous parlons des littérateurs d’action qui ont l’honneur de fournir la matière de ces histoires ; qui font du roman comme de la diplomatie, qui font de la diplomatie comme ils faisaient du roman, à tra-