Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

papier de crédit ; ils valent ce que vaut le crédit de la banque qui les a émis, et, pour être reçus au pair de l’argent, il faut qu’ils portent avec eux la certitude du remboursement. Les billets de la banque d’Angleterre sont une monnaie légale, et il ne vient à la pensée de personne qu’on puisse les confondre avec le papier-monnaie, ni qu’ils mènent par voie de transition au régime des assignats.

J’avais adressé à la loi du 6 août un dernier reproche. Il m’avait paru que l’on n’improvisait pas une mesure comme celle de l’abrogation du cours forcé, et qu’il fallait donner à tout le monde le temps de s’y préparer, au législateur comme au public. On conteste ces nécessités de la prudence. On prétend que, si l’Angleterre prit trois années pour amener sans secousse la reprise des paiemens de la.banque, c’est que le régime du cours forcé avait duré vingt-deux ans dans ce pays avec une dépréciation assez notable dans la valeur des billets, tandis que la suspension du remboursement n’a jamais été complète en France et n’a duré en fait que trois mois et demi.

Cette différence, je suis loin de la nier, je l’avais signalée moi-même ; mais, si le cours forcé n’a pas agi de la même manière qu’en Angleterre sur la fortune publique, il a produit des changemens dans la situation qui appellent au plus haut degré la sollicitude des législateurs. La loi du 6 août n’a pas pu replacer la Banque dans la situation où l’avait trouvée la révolution de février. La circulation fiduciaire s’était accrue d’environ 40 pour 100, ou de 150 millions dans l’intervalle ; le papier de banque avait pénétré dans les plus petits hameaux, et partageait la popularité des espèces ; enfin les banques départementales avaient disparu pour faire place, dans l’ordre monétaire, à la plus énergique et à la plus complète unité. Imaginer qu’un aussi grand changement ne demandait aucun surcroît de précautions, ni aucune mesure transitoire, c’est dire que toutes les situations peuvent s’accommoder des mêmes lois.

En résumé, les explications de la Banque ne me semblent pas assez péremptoires pour convertir le public qui en est le véritable juge, à la loi du 6 août. L’abrogation pure et simple du cours forcé, tant que l’état n’a pas remboursé les 125 millions de l’emprunt, demeure une haute imprudence. La situation de la Banque, exposée au grand jour de la liberté, ne sera trouvée ni très forte ni très sûre. Cependant, avec une conduite sage dans le détail, elle rencontrera probablement plus de malaise que de péril. L’ordre aurait succombé depuis long-temps dans ce pays ; si la langueur des opinions et la lenteur des événemens n’émoussaient les conséquences de nos fautes.

Martres, le 8 septembre 1850.


LEON FAUCHER.