Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1099

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de s’épancher. » Restif lui manifesta des doutes sur la pureté de cette révolution qui avait commencé par des meurtres :

« Réfléchi par caractère, ajouta-t-il, et courageux par réflexion, les têtes m’effrayèrent ; lorsque je rencontrai le corps de Bertier traîné par vingt-quatre polissons, je frémis, — je me tâtai pour sentir si ce n’était pas moi… Cependant, à la vue de la Bastille prise et démolie, je sentis un mouvement de joie… je l’avais redoutée, cette terrible Bastille !

« Mirabeau en ce moment me serra la main avec transport : « Regarde-moi, dit-il toute l’énergie des Français réunis n’égale pas celle qui était dans cette tête ; mais, hélas ! elle diminue !… C’est moi qui ai fait prendre la Bastille, tuer Delaunay, Flesselle… C’est moi qui ai voulu que le roi vînt à Paris le 17 juillet : ce fut moi qui le fis garder, recevoir, applaudir ; c’est moi qui, voyant les esprits se rasseoir, fis -arrêter Berner à Compiègne par un des miens, qui le fis demander à Paris, qui, la veille de son arrivée, cherchai un vieux bouc émissaire dans Foulon, son beau-père, que je fis dévouer aux mânes du despotisme ministériel : ce fut moi qui fis porter sa tête enfourchée au-devant de son gendre, non pas pour augmenter l’horreur des derniers momens de cet infortuné, mais pour mettre de l’énergie dans l’ame molle et vaudevillière des Parisiens par cette atrocité… Tu sais que je réussis, que je fis fuir d’Artois, Condé, tous les plats courtisans et les impudentes courtisanes, c’est moi qui ai tout fait, et, si la révolution réussit jusqu’à un certain point, j’aurai un jour un temple et des autels. N’oublie pas ce que je te dis là : .. Continue tes questions ; j’y répondrai, quand il le faudra.

« — Et Versailles, les 5 et 6 octobre ?

« Versailles ! s’écria Mirabeau : (Il se tut d’abord et marcha vite…) Versailles ! — c’est mon chef-d’œuvre… Mais, va, va !

« — Je t’écoute, et je te jure un inviolable silence !

« — Je ne sais ce que tu veux dire par ton silence inviolable, car tu as des termes à toi : on ne viole pas le silence, mais la grammaire !… Apprends que c’est moi qui ai fait venir ici et l’assemblée nationale, et le roi, et la cour. D’Orléans n’a seulement pas été consulté, quoiqu’il payât… Juge combien étaient ridicules les informations de ce vil Châtelet, que j’avais fait nommer juge des crimes de lèse-nation, et qui, s’il n’avait pas été composé de têtes à perruques, aurait pu devenir quelque chose !… Mais l’horrible et nécessaire spectacle de Foulon, de Bertier (c’est ceci qui a creusé l’effroi : la Bastille, Delaunay, Flesselle, n’avaient effrayé que la cour), avait bouleversé toute l’infâme oligarchie des prêtres, des robins, des sous-robins, et même de l’officiaille, à la tête de laquelle mon frère voulait se mettre : malheureusement pour lui, quand nos parens le firent, mon père était auteur et ma mère ivre, de sorte qu’il n’a que la soif pour toute énergie… Je sentais depuis long-temps que, tant que nous serions à Versailles, nous ne ferions rien qui vaille, environnés que nous étions de gardes-du-corps et de gardes-suisses, qu’un souris, une caresse pouvait mettre dans le parti de la cour ; j’arrangeai mâlement tout cela. Je n’en voulais aux jours de personne ; je voulais, après avoir soûlé le peuple d’anarchie, comme pendant les cinq jours d’interrègne des anciens Perses, rétablir le roi, me faire… maire du palais… Mais, ayant pris toute la canaille, jusqu’aux