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Il osait davantage encore en s’informant auprès des portiers ou des valets : de ce qui se passait dans chaque maison, en s’introduisant sous tel ou tel déguisement dans l’intérieur des familles, en pénétrant le secret des alcôves, en surprenant les infidélités de la femme, les secrets naissans de la fille, qu’il divulguait dans ses écrits sous des fictions transparentes.. De là des procès et des divorces. Un jour, il faillit être assassiné par un certain E… dont il avait fait figurer la femme dans ses Contemporaines. C’était habituellement le matin qu’il rédigeait ses observations de la veille. Il ne faisait pas moins d’une nouvelle avant le déjeuner. Dans les derniers temps de sa vie, en hiver, il travaillait dans son lit faute de bois, sa culotte par-dessus son bonnet, de peur des courans d’air. Il avait aussi des singularités qui variaient à chacun de ses ouvrages, et qui ne ressemblaient guère aux singularités en manchette d’Haydn et de M. de Baffon. Tantôt il se condamnait au silence comme à l’époque de sa rencontre avec Cubières, tantôt il laissait croître sa barbe, et disait à quelqu’un qui le plaisantait : « Elle ne tombera que lorsque j’aurai achevé mon prochain roman. — Et s’il a plusieurs volumes ? — Il en aura quinze. — Vous ne vous raserez que dans quinze ans ? — Rassurez-vous, jeune homme, j’écris un demi-volume par jour. »

Quelle fortune immense il eut faite de notre temps en luttant de vitesse avec nos plus intrépides coureurs du feuilleton, et de fougue triviale avec les plus hardis explorateurs des misères de bas étage ! Son écriture se ressent du désordre de son imagination ; elle est irrégulière, vagabonde, illisible ; les idées se présentent en foule, pressent la plume, et l’empêchent de former les caractères. C’est ce qui le rendait ennemi des doubles lettres et des longues syllabes, qu’il remplaçait par des abréviations. Le plus souvent, comme on sait, il se bornait à composer à la casse sans manuscrit. Il avait fini par acquérir une petite imprimerie où il casait lui-même ses ouvrages, aidé seulement d’un apprenti.

La révolution ne pouvait lui être chère d’aucune marnière, car elle mettait en lumière des hommes politiques fort peu sensibles à ses plans philantropiques, plus préoccupés de formules grecques et romaines que de réformes fondamentales. Babeuf aurait pu seul réaliser son rêve ; mais, découragé de ses propres plans à cette époque, Restif ne marqua aucune sympathie pour le parti du tribun communiste. Les assignats avaient englouti toutes ses économies, qui ne se montaient pas à moins de 74,000 fr. et la nation n’avait guère songé à remplacer pour ses ouvrages, les souscriptions de la cour et des grands seigneurs dont il avait usé abondamment. Toutefois Mercier, qui n’avait pas cessé d’être son ami, fit obtenir à Restif une récompense de 2,000 fr. pour un ouvrage utile aux mœurs, et le proposa même pour candidat à l’Institut