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que celui de Newton. On se jeta à son cou, on proclama le tout sublime. Le surlendemain, l’abbé Fontenai, qui s’était trouvé aussi au déjeuner, lui apprit qu’il avait été victime d’un projet de mystification dont le résultat du reste avait tourné à son honneur. La marchande de mousseline était la duchesse de Luynes, la marchande de dentelle était la comtesse de Laval, la femme de chambre était la duchesse de Mailly ; le Nicodème, Matthieu de Montmorency ; le sourd, l’évêque d’Autun ; l’homme en camelot, l’abbé Sieyès, qui, pour réparer la sévérité de ses observations, envoya à Restif la collection de ses écrits. On avait voulu voir le Jean-Jacques des halles dans toute sa fougue et dans toute sa désinvolture cynique. On ne trouva en lui qu’un conteur amusant, un utopiste quelque peu téméraire, un convive assez peu fait aux usages du monde pour s’écrier que c’était la première fois qu’il mangeait des huîtres, mais prévenant avec les dames et s’occupant d’elles presque exclusivement. Si en effet quelque chose peut atténuer les torts nombreux de l’écrivain, son incroyable personnalité et l’inconséquence continuelle de sa conduite, c’est qu’il a toujours aimé les femmes pour elles-mêmes avec dévouement, avec enthousiasme, avec folie. Ses livres seraient illisibles autrement.

Mais bientôt nous voici en pleine révolution. Le philosophe qui prétendait effacer Newton, le socialiste dont la hardiesse étonnait l’esprit compassé de Siéyès, n’était pas un républicain. Il lui arrivait, comme aux principaux créateurs d’utopies, depuis Fénelon et Saint-Pierre jusqu’à Saint-Simon et Fourier, d’être entièrement indifférent à la forme politique de l’état. Le communisme même, qui formait le fond de sa doctrine, lui paraissait : possible sous l’autorité d’un monarque, de même que, toutes les réformes du Pornographe et du Gynographe lui semblaient praticables sous l’autorité paternelle d’un bon lieutenant de police. Pour lui comme pour les musulmans le prince personnifiait l’état propriétaire universel. En tonnant contre l’infâme propriété (c’est le nom qu’il lui donne mille fois), il admettait la possession personnelle, transmissible à certaines conditions, et jusqu’à la noblesse récompense des belles actions, mais qui devait s’éteindre dans les enfans, s’ils n’en renouvelaient la source par des traits de courage ou de vertu.

Dans le second volume des Contemporaines, Restif donne le plan d’une association d’ouvriers et de commerçans qui réduit à rien le capital : — c’est la banque d’échange dans toute sa pureté. – Voici un exemple. Vingt commerçans ; ouvriers eux-mêmes ; habitent une rue du quartier Saint-Martin. Chacun d’eux est le représentant d’une industrie utile. L’argent manque par suite des inquiétudes politiques, et cette rue, autrefois si prospère, est attristée de l’oisiveté forcée de ses habitans. Un bijoutier-orfévre qui a voyagé en Allemagne, qui y a vu