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où il raconte sa vie étrange sans détours et sans voiles ; c’est à ce groupe aussi qu’il faut rattacher quelques parties d’un recueil volumineux de récits et d’esquisses de mœurs, les Contemporaines.

Les Mémoires de M. Nicolas, c’est-à-dire la vie même de l’auteur, offrent à peu près tous les élémens du sujet déjà traité dans le Paysan perverti. L’analyse du roman fera connaître les Mémoires. Dans le roman, il s’est représenté lui-même sous le nom d’Edmond, et ses aventures d’Auxerre en forment la première partie : on voit qu’il n’y a pas là de grands frais d’imagination ; l’art se montre dans l’agencement des détails et dans la peinture des caractères. Celui de Gaudet d’Arras est surtout fort saisissant et peut compter comme le prototype de ces personnages sombres qui planent sur une action romanesque et en dirigent fatalement les fils. On a beaucoup abusé depuis de ces héros sataniques et railleurs ; mais Restif a l’avantage d’avoir peint un type véritable, compensé bien tristement par le malheur de l’avoir connu. À voir ainsi la réalité servie à la fable du drame, on pense à ces groupes que certains statuaires composent avec des figures qui ne sont pas le produit de l’étude ou de l’imagination ; mais qui ont été moulées sur nature. D’après ce procédé, nous voyons aussi paraître le type adorable de Mme Parangon, puis en opposition celui de Zéfire il est inutile de répéter toute cette histoire ; mais on peut remarquer que Mme Parangon et Gaudet d’Arras se rencontrent à Paris avec l’auteur, comme son bon et son mauvais génie. C’est cette portion qui constitue en réalité la force et le mérite de ce livre, qui autrement ne serait qu’une ébauche de mémoires personnels. Gaudet d’Arras devient le Mentor funeste d’Edmond ; il l’entraîne à travers tous les désordres, toutes les corruptions, tous les crimes de la capitale, et cela sans intérêt, sans haine, et même avec une sorte d’amitié compatissante pour un jeune homme dont la société lui plaît. D’après sa philosophie longuement développée, il faut, pour être heureux, tout connaître, oser de tout et satisfaire ses passions sans trouble et sans enthousiasme ; puis se tarir le cœur progressivement, pour arriver à cette insensibilité contemplative du sage, qui devient sa vraie couronne et le prépare aux douceurs futures de la mort, son unique récompense. En suivant ce système, Edmond, après avoir mené vie joyeuse, déshonoré sa bienfaitrice, essayé jusqu’aux plus honteux raffinemens du vice, finit par épouser une vieille de soixante ans, pour avoir sa fortune ; elle meurt au bout de trois mois, et l’on accuse Gaudet d’Arras de l’avoir empoisonnée. Cette action ultra-philosophique lui réservait l’échafaud, mais Gaudet d’Arras se tue. Edmond est condamné aux galères. Après de longues années de douleurs et de remords, il parvient à s’échapper et retourne dans sort village ; il est si changé, si souffrant, que personne ne le reconnaît. Ses parens sont morts de douleur ; il s’en va errer