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les grands centres de population, quelques femmes soient dévouées à garantir et à préserver la moralité des autres. Dans l’Inde, c’étaient les femmes des castes inférieures ; en Grèce, c’étaient les esclaves auxquelles était assigné ce but social. L’âge moderne trouverait des classifications analogues dans l’étude des tempéramens ou dans le malheur inné de certaines positions. Quelque chose de la doctrine de Fourier se rencontre à l’avance dans cette hypothèse : — la papillonne est, selon Restif, la loi dominante de certaines organisations. Il s’opère toutefois dans ces natures abaissées des transformations amenées par l’âge ou par les idées morales, ou encore par quelque sentiment imprévu qui épure l’esprit et le cœur. Dans ce cas, toute aide, tout encouragement doivent être donnés à qui veut rentrer dans l’ordre général, dans la société régulière. La tendance principale qui devrait régner dans l’institution particulière des parthénions, que Restif voudrait créer, à l’instar des Grecs, — serait même d’amener les esprits à ce résultat. Restif suppose que les natures les plus vicieuses ne se dégradent entièrement qu’en raison du mépris qui pèse sur leur passé et d’après une situation résultant du malheur de la naissance, des conséquences d’une seule faute, ou d’une complication de misères qu’il est difficile d’apprécier. Le plus grand mérite des règlemens qu’il avait conçus était de soustraire, disait-il, les jeunes gens aux tentations extérieures, d’éloigner des familles le spectacle du vice promenant insolemment son luxe d’un jour, de neutraliser enfin pour l’homme un instant égaré la possibilité de maux dont les races sont solidaires.

Cet ouvrage crut un succès européen, et les idées qu’il renferme frappèrent vivement l’esprit philosophique de Joseph II[1], qui appliqua dans ses états les projets de règlemens contenus dans la seconde partie du livre. Le Pornographe fut suivi de plusieurs ouvrages du même genre que l’auteur range sous le titre d’Idées singulières. Le second volume s’intitule le Mimographe ou le Théâtre réformé. Restif insiste dans ce livre sur la nécessité d’admettre la vérité absolue au théâtre, et de renoncer au système conventionnel de la tragédie et de la comédie dont les règles académiques ont opprimé même des génies tels que Corneille et Molière. On croirait lire les préfaces de Diderot et de Beaumarchais, — qui, plus heureux ou plus habiles, parvinrent à réaliser leurs théories, — tandis, que le théâtre de Restif fut toujours repoussé de la scène. On se convaincra de l’excès de réalité qu’il voulait introduire en sachant qu’il proposait, pour augmenter l’utilité, la moralité et la volupté du théâtre, de faire jouer les scènes d’amour, par de véritables amans la veille de leur mariage.

  1. Quelques années plus tard, Restif, arrivé à une plus grande réputation, reçut de la part de Joseph II un brevet de baron enfermé dans une tabatière ornée d’un portrait de l’empereur. Il renvoya le brevet, et garda l’image du souverain philosophe.