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pas être les moins égrillardes, à en juger par le canevas d’une de ces pièces destinées au huis-clos, le Songe de Pierrot, que possédait M. de Soleinne[1]. Je vois dans la même collection le titre, mais le titre seulement, d’une pièce de marionnettes que je suppose avoir eu la même destination, Polichinelle recruteur d’amour ou la milice de Cythère[2]. François Nau, le chansonnier, a publié en 1758 un intermède de marionnettes (sans nom d’auteur) que je soupçonne avoir été composé pour une de ces réunions joyeuses[3].

Enfin nous allons rencontrer les marionnettes dans un lieu où vous serez surpris, comme nous, de les voir admises, à Cirey ; oui, au château de Cirey, devant la sérieuse Mme Du Châtelet et devant Voltaire, dans le temps même où la marquise commentait Leibnitz et où Vo ! taire mettait la dernière main à Mérope. C’est à une personne spirituelle, à Mme de Graffigny, alors momentanément abritée à Cirey, que nous devons la connaissance de ces détails intimes, dont elle faisait part à un de ses amis d’enfance, à M. Devaux, lecteur du roi Stanislas.

« Voltaire, lui mande-t-elle (11 décembre 1738), a bu à ta santé… Après le souper, il nous donna la lanterne magique avec des propos à mourir de rire. Il y a fourré la coterie de M. le duc de Richelieu, l’histoire de l’abbé Desfontaines et toutes sortes de contes, toujours sur le ton savoyard. Il n’y avait rien de si drôle ; mais à force de tripoter le goupillon de sa lanterne, qui était remplie d’esprit-de-vin, il le renversa sur sa main ; le feu y prit, et le voilà enflammé. Cela troubla un peu le divertissement, qu’il recommença un moment après. » Et en post-scriptum elle ajoute : « On nous promet les marionnettes. Il y en a ici près de très bonne, qu’on a tant qu’on veut. » - « Je sors des marionnettes, qui m’ont beaucoup divertie (écrit-elle le 16 décembre) ; elles sont très bonnes. On a joué la pièce où la femme de Polichinelle croit faire mourir son mari en chantant fagnana ! fagnana ! C’était un plaisir ravissant que d’entendre Voltaire dire sérieusement que la pièce est très bonne ; il est vrai qu’elle l’est autant qu’elle peut l’être pour de telles gens. Cela est fou de rire de pareilles fadaises, n’est-ce pas ? Et bien ! j’ai ri… Le théâtre est fort joli, mais la salle est petite. Un théâtre et une salle de marionnettes à Cirey ! Oh ! c’est drôle ! Mais qu’y a-t-il d’étonnant ? Voltaire est aussi aimable enfant que sage philosophe. Le fond de la salle n’est qu’une loge peinte, garnie

  1. Portefreuilles de M. de Soleinne, n° 3400. Le Dictionnaire des Théâtres de Paris annonce à tort cette pièce comme représentée en public par les marionnettes.
  2. Ibid., n° 3407.
  3. Par compensation, on a publié, dans notre siècle, des pièces de marionnettes pour l’éducation de la jeunesse. Je ne citerai en ce genre que le Théâtre des marionnettes de Mme Laure Bernard, 1 vol. in-12, 1837. L’auteur y a réduit à la taille de ses comédiens et de ses spectateurs la belle légende du Roi Lear.