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paraissent pas avoir brillé long-temps ; le genre s’épuisait : il fallait, pour le ranimer, une innovation profonde et complète ; ce rajeunissement s’opéra par l’importation des ombres chinoises.

Ce divertissement dont on rapporte généralement l’origine aux Chinois et aux Javanais, est du moins, sans aucun doute, un des spectacles favoris des Orientaus. Il est, depuis assez long-temps connu en Italie et en Allemagne. Le baron de Grimm, qui, dans sa Correspondance de 1770, 1ui a consacré une page ironique, nous apprend pourtant, l’ingrat ! que, sous le nom de Schattenspiel, ce jeu avait singulièrement amusé et émerveillé son enfance. Le procédé mécanique est bien simple : on met, à la place du rideau d’un petit théâtre, une toile blanche ou un papier huilé bien tendu. À sept ou huit pieds derrière cette tenture, on pose des lumières. Si l’on fait glisser alors, entre la lumière et la toile tendue, des figures mobiles et plates, taillées dans des feuilles de carton ou de cuir, l’ombre de ces découpures se projette sur la toile ou le transparent de papier et apparaît aux spectateurs. Une main cachée dirige ces petits acteurs au moyen de tiges légères, et fait mouvoir à volonté leurs membres par des fils disposés comme ceux de nos pantins de carte. Ce n’est pas, comme on voit, de la sculpture, mais de la peinture mobile.

« Après l’Opéra français, dit le baron Grimm avec persiflage, je ne connais pas de spectacle plus intéressant pour les enfans ; il se prête aux enchantemens, au merveilleux et aux catastrophes les plus terribles. Si vous voulez, par exemple, que le diable emporte quelqu’un, l’acteur qui fait en arrière, et, sur la toile, il aura l’air de s’envoler avec lui par les airs. Ce beau genre vient d’être inventé en France ; où l’on en a fait un amusement de société aussi spirituel que noble ; mais je crains qu’il ne soit étouffé dans sa naissance par la fureur de jouée des proverbes. On vient d’imprimer l’Heureuse pêche pour les ombres à scènes changeantes. Le titre nous apprend que cette pièce a été représentée en société, vers la fin de l’année 1767… il faut espérer que nous aurons bientôt un théâtre complet de pareilles pièces[1]. » Eh ! pourquoi pas ? le dédaigneux aristarque ne croyait peut-être pas prédire si juste. Dès 1775, un nommé Ambroise ouvrait un spectacle de ce genre, sous le titre de Théâtre des récréations de la Chine. « On y voyait, suivant l’annonce, la voûte azurée et l’aurore s’annoncer par l’épanouissement des rayons d’un soleil levant… » La figure d’un magicien (c’était déjà sans doute Rotomago) amusait beaucoup les spectateurs par des métamorphoses singulières. Enfin, le programme finissait par une remarque :

  1. Correspondance littéraire, etc., 15 août 1770, t VII, p. 49.