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il revint à Paris en 1769, et loua à la foire Saint-Germain une loge où il montra de grandes marionnettes qui attirèrent la foule par une innovation qui parut piquante. Ses bamboches ou comédiens debois, comme il les appelait, étaient des portraits fort ressemblans de ses anciens camarades de l’Opéra-Comique, Laruette, Claire al, Mme Bérard et lui-même. Polichinelle, sous les traits d’un gentilhomme de la chambre en exercice, fut reçu avec presque autant de faveur que le fut depuis Cassandrino à Rome. Après la clôture de cette foire, Audinot s’installa dans la salle de Fourré, qu’il avait fait rebâtir. Il continua d’y faire jouer et chanter ses comédiens de bois pour lesquels J.-B. Nougaret écrivit plusieurs pièces[1] ; il y joignit quelques ballets d’action, un nain fort agréable dans le vole d’Arlequin, et quelques scènes épisodiques, telles que le Testament de Polichinelle. Pour exprimer cette variété d’amusemens qu’il offrait au public, il donna à son théâtre, dès 1770 ; le nom d’Ambigu-Comique. Cependant il remplaça peu à peu ses marionnettes par des enfans qui jouèrent d’abord des pantomimes, puis des pièces accompagnées de quelques paroles auxquelles on donna le titre assez bizarre de pantomimes dialoguées. Les gravelures dont ses auteurs attitrés, Plainchesne et Moline, n’étaient point avares, attirèrent la bonne et la mauvaise compagnie. Dès 1771, ce petit théâtre était suivant Bachaumont, plus fréquenté non pas que l’Opéra (c’eût été trop peu dire), mais que celui de Nicolet du temps de son singe. Les grands théâtres eurent beau réclamer pour le maintien de leurs privilèges : la cour et la ville intervinrent ; les enfans d’Audinot continuèrent à babiller, danser et chanter, et l’autorité eut l’air de ne pas entendre[2]. C’est ce qu’avait demandé assez plaisamment le facétieux directeur dans un double calembour latin inscrit, en manière de devise, sur le rideau de son théâtre : Sicut infantes audi nos. On sent, à cette tolérance que la loi du 13 janvier 1791 approchait.

D’ailleurs, plus la foire permanente établie sur le boulevard du Temple prenait de vie, de mouvement et d’éclat, et plus décroissait l’importance des foires temporaires. En 1773, il y eut suppression de tous les spectacles à la foire Saint-Laurent, et pendant trois années on n’y vit que quelques marchands de mousseline et de colifichets, un billard et une buvette. Elle fut rouverte cependant en 1777, sous les auspices de M Lenoir[3] ; mais ce ne fut qu’un mouvement de reprise factice : la vie se retirait et se portait ailleurs. Quelques autres foires locales essayèrent, sans grand succès, de profiter de cette suppression.

  1. Voyez les Spectacles des foires et des boulevards de Paris,1777, p. 162 J.-B. Nougaret avait composé en 1767 le Retour du Printemps ou le Triomphe de Flore, un acte mêlé de vaudevilles, pour les marionnettes de Chassinet. Ibid.
  2. Mémoires secrets de Bachaumont, 11 octobre et 17 décembre 1771.
  3. Almanach forain, 1773, et les Petits Spectacles de Paris, 1786, p. 159.