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ajouta des marionnettes à ce spectacle. Il fit représenter par elles, le 10 mars 1726, la Grand’Mère amoureuse, parodie en trois actes de l’opéra d’Atis. Cette pièce de Fuzelier, Lesage et d’Orneval[1] fut précédée d’une harangue de Polichinelle au public, critique assez plaisante des complimens d’ouverture et de clôture en usage sur les deux théâtres français et italien. Une copie entière de cette harangue, qui n’a été qu’incomplètement publiée, se trouve dans les portefeuilles de M. de Soleinne. Je me hasarde à la transcrire, malgré quelques licences de style qui sont malheureusement le fond de la langue de Polichinelle. Après avoir fait, chapeau bas, les trois saluts d’usage, Polichinelle s’avance au bord du théâtre et dit :


« Monseigneur le public puisque les comédiens de France : et d’Italie, masculins, féminins et neutres, se sont mis sur le pied de vous haranguer, ne trouvez pas mauvais que Polichinelle, à l’exemple des grands chiens vienne pis..r contre les murs de vos attentions et les inonder des torrens de son éloquence. Si je me présente devant vous en qualité d’orateur des marionnettes, c’est pour vous dire que vous devez nous pardonner de vous étaler dans notre petite boutique une seconde parodie d’Atis[2]. En voici la raison : les beaux esprits se rencontrent ; érgo, l’auteur de la Comédie-Italienne et celui des marionnettes doivent se rencontrer. Au reste, monseigneur le public, ne comptez pas de trouver ici l’exécution gracieuse de notre ami Arlequin ; vous compteriez sans votre hôte. Songez que nos acteurs n’ont pas les membres fort souples, et que souvent on croiroit qu’ils sont de bois. Songez aussi que nous sommes les plus anciens polissons[3], les polissons privilégiés, les polissons les plus polissons de la foire ; songez enfin que nous sommes en droit, dans nos pièces, de n’avoir pas le sens commun, de les farcir de billevesées, de rogatons, de fariboles. Vous allez voir dans un moment avec quelle exactitude nous soutenons nos droits :

Ici la licence
Conduit nos sujets,
Et l’extravagance
En fournit les traits ;
Si quelqu’un nous tance,
J’avons bientôt répondu
Lanturlu.

« Bonsoir, monseigneur le public ; vous auriez eu une plus belle harangue, si j’étois mieux en fonds. Quand vous m’aurez rendu plus riche, je ferai travailler pour moi le faiseur de harangues de ma très honorée voisine, la Cormédie-Française, et je viendrai vous débiter ma rhétorique empruntée avec le ton

  1. J’ajoute le nom de Lesage d’après une note manuscrite que je trouve dans le Théâtre inédit de Fuzelier, Soleinne, n° 3405, 2.
  2. La première, jouée à la Comédie-Italienne, était des mêmes auteurs que celle des marionnettes.
  3. On voit qu’il était dès-lors généralement admis que les marionnettes étaient le plus ancien spectacle des foires Saint-Germain et Saint-Laurent.