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s’étant établi dans le préau de la foire Saint-Germain, il voulut joindre a ses acteurs de bois une troupe d’enfans des deux sexes : nous verrons que telle a été constamment en France la manie et l’idée fixe de tous les directeurs de marionnettes. Les comédiens français se plaignirent de cette atteinte portée à leurs privilèges, et une sentence ordonna la démolition de la nouvelle loge. L’arrêt fut exécuté le jour même.

Réduit à ses danseurs de corde et à ses bonnes marionnettes, Bertrand se transporta à la foire Saint-Laurent et y donna des représentations, chaque année, jusqu’en 1697, où il conçut, comme tous ses confrères, de plus hautes prétentions. Cette date, en effet, est mémorable dans l’histoire des spectacles forains ; tous prirent ou essayèrent de prendre un grand essor, par suite de la suppression de la Comédie-Italienne ; dont ils se regardèrent comme les héritiers légitimes. Bertrand eut même l’outrecuidance de s’établir dans le local qu’elle abandonnait, et qui n’était rien moins que la scène de Corneille et de Racine, l’ancien hôtel de Bourgogne ; mais, au bout de quelques jours à peine, un ordre du roi lui enjoignit d’en sortir.

Ce fut cette même année qu’aux petites loges des foires on substitua des salles construites sur le modèle des vrais théâtres, avec parquets, galeries, etc. ; enfin, cette mémorable année vit commencer une guerre qui dura plus que celle de trente ans, entre le grand Opéra, les comédiens français et les Italiens ressuscités, d’une part, et de l’autre part, tous les entrepreneurs de théâtres forains, qui n’avaient d’autorisation que pour les danses de corde et le jeu des marionnettes et dont l’incessante prétention, toujours repoussée par les théâtres privilégiés, était de remplacer peu à peu leurs acteurs mécaniques par des acteurs réels, parlans et chantans : ils avaient contre eux les magistrats, qui répugnaient à augmenter dans Paris le nombre des spectacles, et pour soutiens ardens la cour et la ville, dont ils promettaient de varier et de multiplier les plaisirs ; mais les nombreuses péripéties et les étranges épisodes de cette longue guerre me conduiraient beaucoup trop loin, si je voulais la raconter dans son ensemble et ses détails. Je ne toucherai donc que ce qui a rapport aux marionnettes ; la matière est encore assez riche.


IX. – CHRONIQUE DES MARIONNETTES AUX FOIRES SAINT-GERMAIN ET SAINT-LAURENT, DE 1701 A 1793.

On est en droit de s’étonner qu’aucun des historiens de nos grands ou de nos petits théâtres ne se soit appliqué à reconstruire le répertoire des marionnettes. M. de Soleinne lui-même, qui possédait un assez grand nombre de pièces faites pour elles, imprimées et manuscrites, et qui avait eu l’excellente idée de recomposer le répertoire de la plupart de nos théâtres secondaires, a négligé, je ne sais pourquoi,