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le XVIIIe siècle avait eu sans cesse devant les yeux, il avait substitué un type nouveau, qui se prétendait ancien, ce qui était un mérite de plus. À la place de Romains de théâtre cachant un poignard sous leur toge, et qui avaient si bien passé par les fenêtres au 18 brumaire, il avait fait éclore des chrétiens, des chevaliers qui n’étaient pas de beaucoup meilleur aloi, mais qui figuraient beaucoup plus convenablement autour de l’autel de Notre-Dame et du trône impérial. Parlant sérieusement, il avait mis l’imagination et la poésie de complicité dans l’œuvre de restauration sociale à laquelle Napoléon attachait son nom, et qu’il comptait léguer à sa dynastie. Or Napoléon ne dédaignait ni la poésie ni l’imagination ; il avait trop à faire avec elles ; il savait de quel poids sont ces deux divinités mobiles dans ces conseils suprêmes où se décident les destinées des empires. En Égypte, à Arcole, à Marengo, il avait entendu le bruit de leurs ailes passer au-dessus de sa tente : il tenait à rester leur favori.

Tel était le secours que M. de Chateaubriand avait prêté, peut-être sans le savoir, à la politique de Napoléon. En dépit de son hostilité contre le nouveau maître de la France, il n’était au fond qu’un des ouvriers de son œuvre. Il avait chanté pendant que l’autre agissait. Aux yeux de la politique impériale, cela valait mieux que des complimens et faisait passer sur des insolences. Cette politique lui savait gré de ce qu’il avait fait, et peut-être aussi ; disons tout, de n’avoir pas fait davantage. Elle était bien aise qu’il eût remis le christianisme, cette grande institution conservatrice, en honneur, mais elle n’était pas fâchée qu’en la réhabilitant il en eût fait une affaire de mode et de sentiment plus que de conviction sérieuse. On le sait en effet, on l’a dit cent fois : le Génie du Christianisme n’est pas une apologétique sérieuse de la religion. La démonstration se borne à ceci : qu’en fait d’inspiration poétique la Bible vaut l’Iliade, et que les traditions chrétiennes ont autant de charme que les fables homériques. M. de Chateaubriand a rendu ainsi au christianisme les proportions d’une mythologie brillante animant une morale saine ; mais de la simplicité sévère de ses dogmes, mais de l’esprit de vie qui les anime, mais de ces appels directs et pressans par lesquels ils gourmandent la conscience individuelle, mais de ces traits acérés qui, au sein de la corruption du monde romain, allaient toucher et faire tressaillir tant d’ames païennes, vous n’en retrouverez rien dans les écrits de M. de Chateaubriand. Il n’y prétendait pas, je le sais bien ; il n’était pas prédicateur, il n’était ni Augustin, ni Jérôme, ni Bossuet, ni Pascal, et c’est justement parce qu’il n’avait rien de commun avec un père de l’église que l’empereur le prenait en si bonne part. Que la grande ombre de l’auteur du concordat nous le pardonne : nous savons parfaitement qu’il comprenait par le génie toute la majesté de la sainte religion de nos pères ; mais nous