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voisin, archers, commissaire ; je ne sais s’il avait dès-lors le talent d’attacher le bourreau à sa potence et d’enferrer le diable avec sa fourche ; je le crois pourtant, car pendre le bourreau et tuer le diable, c’est là tout Polichinelle, le grand burlador, non pas seulement de Séville, fi donc ! mais du monde entier.

Nous ne possédons malheureusement pas le texte authentique du fameux drame de Polichinelle. Ce n’est qu’en 1838 qu’on a essayé de fixer par l’impression cette œuvre essentiellement traditionnelle. L’idée était bonne ; mais l’exécution est demeurée imparfaite. Le texte que nous a donné M. Jules Rémond n’est qu’un canevas dépourvu de tous les développemens drolatiques qui ont élevé si haut la gloire de cette polémique et folle production[1].


V.— DAME GIGOGNE.

Vous croyez, peut-être, vous qui me lisez en courant, qu’il n’y a rien de plus facile que de vous dire l’âge et l’origine de dame Gigogne, cette sœur roturière de Grandgousier et de Gargamelle : je ne puis vous laisser dans cette erreur. Ce n’est pas sans beaucoup de temps perdu que j’ai recueilli la mince pacotille de renseignemens que je vais vous présenter. Dame Gigogne est, je crois, contemporaine de Polichinelle, ou de bien peu d’années sa cadette ; elle a commencé, comme lui, à s’ébattre, en personne naturelle, sur les théâtres et même à la cour de France : on l’a vue aux Halles, au Louvre, au Marais et à l’hôtel de Bourgogne, avant de l’applaudir dans la troupe des acteurs de bois. Je lis dans le journal manuscrit du Théâtre-Français, à la date de 1602 « Les enfans-sans-souci, qui tentoient l’impossible pour se soutenir au théâtre des Halles, imaginèrent un nouveau caractère pour rendre leurs farces plus plaisantes. L’un d’eux se travestit en femme et parut sous le nom de Mme Gigogne ; ce personnage plut extrêmement, et, depuis ce jour, il a toujours été rendu par des hommes[2]. » Les frères Parfait confirment cette indication[3].

Dame Gigogne ne tarda pas à se montrer sur un plus grand théâtre. L’abbé de Marolles nous l’apprend, mais dans le style obscur et entortillé qui lui est propre : « Entre les Français, dit-il, jouèrent la comédie le capitaine Matamore, le docteur Boniface, Jodelet, Bruscambille et dame Gigogne, depuis la mort de Perrine, qui, de son temps, sous Valéran et La Porte, fut un personnage, incomparable[4]. » Je pense

  1. voyez Polichinelle, farce en trois actes, pour amuser les grands et les petits enfans, publiée par Jules Rémond, illustrée de vignettes par Matthieu Gringoire (George Cruikshank) ; Paris, 1838, in-16.
  2. Tome 4, p. ?, tome III, P. 582. Mus.de la Bibliothèque nationale.
  3. Histoire du Théâtre-François, tome III, p. 582.
  4. Mémoires de l’abbé de Marolles, Dénombrement des auteurs ; t. III, p. 290.