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voulait éteindre les cierges, deux anges qui les avaient allumés semblaient s’y opposer en voltigeant, et il fallait beaucoup d’adroite précision pour parvenir à éteindre surtout ceux qu’ils portaient. On entretenait un machiniste pour conduire et soigner les ressorts de toutes ces figures. C’était une des merveilles de ce temps, et la curiosité d’en voir l’effet attirait chaque année une grande affluence d’étrangers à Dieppe[1].

Le mystère de Noël et celui de l’Annonciation étaient aussi célébrés dans l’église de Saint-Jacques et toujours au moyen de figures à ressorts ou mues par des fils. Il est dit, dans une chronique manuscrite citée par M. Vitet, que plusieurs de ces statues mécaniques, étaient placées, dans des piliers creux et travaillées avec assez d’art pour qu’on ne pût apercevoir les contre-poids qui les faisaient agir. Au moment même où j’écris, M. Mérimée veut bien m’apprendre qu’un de ces piliers creux s’est affaibli par le vice de sa construction, et qu’on est obligé de le reconstruire. Ces jeux ecclésiastiques se prolongèrent jusqu’en 1647. Alors Louis XIV et la régente, sa mère, ayant passé par Dieppe la veille de l’Assomption, assistèrent aux mitouries, dont ils furent assez mal édifiés. Ordre fut donné de les supprimer, et il ne subsista plus que la grande montre ou procession de la confrérie et la représentation plus développée du mystère de l’Assomption joué devant l’hôtel-de-ville, sur la place du marché, et suivie le jour d’après d’une moralité. Ces dernières cérémonies furent elles-mêmes interdites en 1684 par un mandement de l’autorité ecclésiastique, confirmé par un arrêt du parlement de Rouen. Tel était, d’ailleurs, l’amour des Dieppois pour ces représentations, qu’ils en conservèrent les machines en magasin jusqu’au bombardement de 1694, qui en occasionna l’incendie.

Expulsées presque partout des églises, les marionnettes religieuses continuèrent de se montrer au dehors. Les vies des saintes et des martyrs, les plus belles histoires de la Bible, et, par-dessus tout, les deux grands mystères du Nouveau Testament, la pastorale de Bethléem et la tragédie du Calvaire, ne cessèrent d’être représentés par des figurines de bois ou de carton, et cela non-seulement dans les campagnes et les bourgades qui n’avaient pas, comme les grandes villes, de solennelles représentation par personnages[2], mais dans les principales cités du royaume et à Paris même, devant la porte des couvens et dans les parvis des églises. Elles ont survécu aux mystères ; protestans et frondeurs ont eu beau se moquer de cet usage, ils n’ont pu le détruire, et leurs railleries mêmes le constatent. On lit dans une Mazarinade de 1639, intitulée Passeport de Mazarin :

  1. Voyez M. Desmarquets, Mémoire chronologique pour servir à l’histoire de Dieppe, tome 1er, p. 68-85.
  2. Je suis même tenté de croire qu’on disait, aux XV et XVIe siècles, mystères par personnages, par opposition aux mystères représentés au moyen de figurines de cire ou de bois.