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brûlez. » Hâtons-nous de clore cette lugubre digression, et de revenir à nos bonnes et innocentes marioles ou marionnettes.


II. – MARIONNETTES RELIGIEUSES EN FRANCE.

Les prestiges de la sculpture mobile, destinés à accroître sur les fidèles l’impression salutaire des cérémonies du culte, n’ont guère été moins usités dans les églises de France que dans celles d’Espagne et d’Italie. En quelques lieux même, l’emploi religieux de la statuaire à ressorts s’est prolongé bien au-delà du moyen-âge et n’a tout-à-fait disparu que dans les temps modernes. Je vais citer un échantillon de cette curieuse persistance. À Dieppe, comme partout où domine une population de marins, la Vierge est l’objet d’un culte passionné. La retraite des Anglais obligés de lever le siège de cette ville en 1443, la veille de l’Assomption, augmenta encore cette disposition pieuse. En mémoire de ce succès, le dauphin, depuis Louis XI, offrit à l’église Saint Jacques une statue de la Vierge en pur argent. Les Dieppois, de leur côté, instituèrent une confrérie, et le clergé dans l’intérieur de Saint-Jacques, redoubla l’éclat dramatique des offices de l’Assomption, qu’on appelait, dans la langue du pays, les mitouries de la mi-août[1]. Ces jeux consistaient en une pantomime ou pageant, dont les acteurs étaient quelques prêtres et plusieurs laïques des deux sexes, aidés de diverses figures mises en mouvement par des fils ou des ressorts. Je lis dans un historien de Dieppe que l’on élevait chaque année dans Saint-Jacques, au-dessus de la contre-table du chœur, une tribune dont le haut touchait à la voûte de l’église, laquelle était parsemée d’étoiles sur un fond d’azur. Au sommet de cette espèce de théâtre, assis sur un nuage, apparaissait le Père éternel sous les traits d’un vieillard. Autour de lui voltigeaient des ancres, allant, venant, prenant ses ordres, agitant leurs ailes ; d’autres embouchaient la trompette avec tant d’à-propos, pendant certains jeux d’orgue, que les sons semblaient sortir de leurs instrumens. Ces anges-marionnettes, dit un plus récent historien, faisaient de vrais prodiges[2]. Cependant la Vierge reposait au niveau du sol, étendue sur son lit mortuaire, entourée d’arbustes et de fleurs dans une sorte de vallée de Gethsemani. Deux anges, sur un signe du Père éternel, venaient la prendre au commencement de la messe, et la portaient au ciel assez lentement pour qu’elle n’arrivât dans le giron de Dieu qu’au moment de l’adoration. Pendant son assomption, la statue de Marie levait les bras et la tête, de temps à autre, pour témoigner son désir d’arriver au ciel. Quand l’office était achevé et qu’on

  1. Ce nom n’est-il pas une corruption du mot mysteries employé par les Anglo-Normands ?
  2. M. L. Vitet, dans son Histoire de Dieppe, a consacré un chapitre à ces jeux singuliers, p. 35-47, édit. Gosselin.