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des commandes sembla ôter tout motif à ces craintes. La multiplication des métiers mécaniques éprouva un temps d’arrêt après 1825 ; d’ailleurs les nouveaux métiers, par le nombre d’agens qu’ils exigeaient, rendaient d’un côté aux ouvriers l’emploi qu’ils pouvaient leur ôter de l’autre : aussi on ne trouve pas que de 1820 à 1830 le nombre des tisseurs à la main ait diminué. C’est après 1830 que la lutte s’engagea entre le métier mécanique et le métier à la main, et que l’ouvrier, de concurrent des machines, dut se réduire à en être le serviteur. Les perfectionnemens apportés aux machines, en doublant, en triplant le produit de chaque heure de travail, diminuèrent de moitié, puis des deux tiers, le nombre des ouvriers nécessaires, et produisirent, par la concurrence des bras inoccupés, la dépréciation des salaires. L’application de la vapeur et de nouveaux progrès ont réduit encore le nombre des agens utiles, et font qu’on ne leur demande plus la même force les ouvriers depuis lors n’ont plus à soutenir seulement la concurrence de tous les bras que la vapeur supplée ; ils doivent céder la place à leurs femmes, à leurs enfans, ou accepter le salaire de ceux-ci. Telle est la situation actuelle des ouvriers des filatures ; leur détresse a si bien son origine dans les causes que nous venons d’énumérer ; qu’elle avait été prévue, il y a déjà quinze ans, au moment où l’industrie du coton atteignait en Angleterre l’apogée de sa prospérité, et où le salaire des ouvriers fileurs s’élevait à 50 shillings par semaine. Les économistes anglais avaient dès-lors des inquiétudes que l’événement a réalisées.

Quels sont les torts du capital et de l’aristocratie manufacturière dans ces faits, qui sont l’inévitable conséquence de causes naturelles et indépendantes de la volonté humaine ? Il est fort douteux que les manufacturiers du Lancashire admissent comme exacte la peinture que M. Ledru-Rollin fait de leur situation, et qu’ils fussent disposés à croire avec lui que les salaires de leurs ouvriers ne se relèveront jamais : c’est à eux qu’il faut laisser le soin de discuter à ce point de vue les assertions de l’écrivain montagnard ; mais si M. Ledru-Rollin, en s’appuyant sur ces faits, a pu conclure à la décadence et à la ruine prochaine de l’Angleterre, il pourrait à aussi bon droit prédire la ruine de tout pays où il existe des manufactures. Non-seulement ses raisonnemens et ses récits ne s’appliquent pas à cette multitude d’ouvriers qui exercent les divers états, mais ils ne s’appliquent même pas à tous les ouvriers des manufactures ; ils laissent en dehors les ingénieurs, les mécaniciens, les chauffeurs, les veilleurs, tous ceux dont l’emploi exige un effort, si faible qu’il soit ; de l’intelligence, et dont le salaire n’a point reçu d’atteinte. En joignant à l’industrie du coton les industries de la bonneterie ; de la mercerie, de la passementerie, qui en dépendent à certains égards, celle des soieries inférieures, en un mot les industries qui