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sont épaisses et résistantes, mais sans difficultés pratiques, et pour lequel la femme vaut l’homme, et l’enfant vaut la femme. Or, l’expérience et le raisonnement démontrent que chaque fois qu’un ouvrage peut être fait indifféremment par un homme, une femme ou un enfant, c’est invariablement le salaire du plus faible qui règle le salaire du plus fort ; l’homme est obligé d’accepter les gages de l’enfant, sous peine de ne plus trouver d’ouvrage. Ce fait, qui se reproduit en tout temps et en tout pays, ne résulte-t-il pas de la nature même des choses ? , On n’y remédierait pas par le bouleversement de la société européenne, ni même par celui de la société universelle. En entrant dans le détail des faits, on arriverait à prouver que ce qui résulte surtout des lettres de M. Mayhew et des extraits de son traducteur ; c’est la condamnation du marchandage, qui enlève précisément aux ouvriers les plus nécessiteux la moitié de leur salaire. C’est là ce qui rend plus injustes encore les déclamations de M. Ledru-Rollin contre le capital, puisque souvent le marchand, le capitaliste, si l’on tient au mot, n’est point en rapport direct avec l’ouvrier. M. Ledru-Rollin a donc tout au plus démontré un fait qui n’a rien de nouveau, savoir, que le marchandage est une spéculation sur la misère et la concurrence. Supposons le marchandage supprimé ; cela fera-t-il disparaître cette concurrence excessive qui produit la dépression des salaires ? cela fera-t-il que, dans les professions invoquées comme preuves par le socialisme, le nombre des ouvriers ne soit hors de toute proportion avec la quantité d’ouvrage à répartir ? Comment empêcher les métiers les plus simples et les plus facilement accessibles à tous d’être encombrés ? Comment empêcher Londres d’attirer, comme font toutes les capitales, tous les mauvais ouvriers, tous les bras inoccupés, tous les nécessiteux du territoire environnant et de recruter ainsi sans cesse le vice et le paupérisme ? Comment empêcher les Irlandais, devenus indifférens par une misère héréditaire à toute jouissance, habitués au dernier degré de sobriété et de privation que puisse endurer l’économie physique de l’homme, de faire à tous les corps d’états de Londres une concurrence bien autrement redoutable que celle que les Savoisiens viennent faire à Paris aux commissionnaires, les Badois, les Hessois, les Luxembourgeois, aux tailleurs, les Belges aux mécaniciens ? Les Irlandais envahissent l’Angleterre et, suivant un mot énergique, ils y rongent le travail. Il y a peu de temps, une émeute éclatait à Glasgow, et une lutte acharnée s’engageait entre les ouvriers irlandais et les ouvriers écossais, qui voulaient bannir les premiers de toutes les manufactures. Ces faits se renouvellent fréquemment et sur tous les points du territoire, parce que le flot de l’émigration irlandaise se répand sur tout le sol anglais. Si la misère revêt à Liverpool son aspect le plus lamentable, si la vie y est plus courte que partout ailleurs, si les crimes y sont trois fois plus nombreux, c’est