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que la population laborieuse de Londres meurt de faim, ne faudrait-il pas avoir parcouru tous les corps d’état qui existent dans une ville de deux millions et demi d’habitans ? Les renseignemens du socialiste français s’arrêtent où s’arrêtent les recherches de M. Mayhew ; ils ne dépassent pas huit ou neuf professions, en comptant les voleurs, sur lesquels l’écrivain anglais s’est fort apitoyé Les ouvriers des docks, les débardeurs de charpente, les lesteurs, les tisseurs de soie de Spitalfields, les ouvriers tailleurs et confectionneurs, les ouvrières en confection, les bottiers et cordonniers, les marins pour le cabotage, comprennent-ils toute la population laborieuse de Londres ? En admettant les évaluations les plus exagérées, toutes ces professions n’embrasse pas cent mille personnes mettons cent cinquante mille, c’est un vingtième des habitans de Londres. Autant vaudrait juger de l’état matériel et moral de Paris par les profits ou les souffrances des chiffonniers et des marchands des quatre saisons. Il est essentiel en outre de faire remarquer que les recherches de l’écrivain anglais ont porté sur des catégories spéciales d’ouvriers, et encore sur une portion particulière de chaque catégorie. M. Mayhew convient que ce qu’il dit des ouvriers tailleurs en confection ne s’applique pas aux ouvriers qui travaillent pour les maîtres tailleurs. Ses peintures de la misère des ouvrières confectionneuses sont également loin de s’appliquer aux couturières en robe, aux couturières à la journée, aux lingères, à toutes les ouvrières à l’aiguille, à qui leur habileté a permis de s’élever au-dessus du travail pour la confection. Combien de métiers d’ailleurs sont en dehors de ceux sur lesquels a porté l’enquête ! N’y a-t-il pas à Londres des charpentiers pour les constructions navales, des menuisiers, des maçons, des ouvriers du bâtiment, des ouvriers en fer et en acier, des mécaniciens, etc. ?

Les écrivains qui parlent des classes laborieuses ne distinguent jamais entre les corps de métier, comme si ces corps étaient tous dans une situation identique. Il y a pourtant une distinction importante à faire. On doit reconnaître que dans les métiers qui exigent des conditions spéciales, par exemple une grande force physique, les aptitudes se trouvent nécessairement limitées. Tout homme n’a pas, tout homme ne peut pas acquérir cette fermeté des nerfs, cette sûreté de coup d’œil et cette agilité qui sont indispensables au couvreur. Tout individu, quelque robuste qu’il soit, ne réunit pas cette force musculaire dam les bras, cette souplesse dans les reins et cette longueur d’haleine sans lesquelles le scieur de long et le porteur d’eau deviendraient phthisiques en quelques années. Voilà donc des métiers où le salaire n’a à craindre que le contre-coup des variations dans le rapport de l’offre à la demande, où l’ouvrier peut souffrir des chômages, mais où il ne souffre pas de la concurrence que la nature elle-même se charge de