Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/996

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyen-âge et même dans les temps modernes, l’usage successif et quelquefois simultané de ces deux procédés, c’est-à-dire les marionnettes parlantes et les marionnettes pantomimes. Ces dernières sont les plus anciennes. Il était naturel, en effet, que l’art moderne commençât au point où finissait l’art de l’antiquité.

Je termine cette première partie de mon travail par une observation toute à la louange des acteurs mécaniques. Les marionnettes des cinq premiers siècles de notre ère, quoiqu’on ne puisse supposer qu’elles aient eu un répertoire beaucoup plus chaste et plus édifiant que celui des mimes et des pantomimes de leur époque, paraissent pourtant n’avoir pas poussé la licence à d’aussi révoltans excès que les acteurs vivans. Les derniers témoignages que nous ayons recueillis sur les marionnettes anciennes nous viennent de Clément d’Alexandrie[1], de Tertullien[2], de Synésius. Eh bien ! ces graves et austères propagateurs du christianisme, qui ont lancé tant et de si justes anathèmes contre les cruautés et les obscénités théâtrales de leur temps, se sont abstenus de toute invective et même de tout blâme contre les marionnettes. Toutes les fois que ces vénérables personnages viennent à parler de ces petits acteurs, ce qu’ils ne font, au reste, qu’incidemment et pour tirer de leur mécanisme perfectionné quelques comparaisons ou réflexions morales, ils s’expriment sur leur compte avec une placidité presque bienveillante, qui contraste avec la réprobation dont ils frappent toutes les autres scènes. Quelque licencieux, en effet, que fussent les déportemens de nos comédiens de bois, leurs peccadilles, s’ils en commettaient, devaient, après tout, paraître infiniment moins coupables que les cruautés réelles et les impudicités flagrantes que pratiquaient ouvertement dans les arènes et sur les théâtres les comédiens vivans. Le seul fait de la substitution de personnages fictifs aux personnages réels constituait une importante diminution de culpabilité et de scandale, et l’église paraît avoir judicieusement tenu grand compte aux marionnettes de cette notable amélioration.

D’ailleurs, voici le moment venu de montrer, comme je l’ai annoncé, la part assez considérable que l’art chrétien a prise à son tour aux essais de la statuaire mécanique ; mais, avant d’entrer dans cette seconde et difficile partie de notre tâche, il est bon de nous recueillir un moment, et de faire une courte relâche à la pointe du cap que notre frêle radeau vient d’atteindre, entre le monde ancien et le monde moderne.


CHARLES MAGNIN.

  1. Clement. Alex., Strom., lib. II, p. 434, et lib. IV, p. 598.
  2. Tertull., de Anima, cap. VI, et Adversus Valent., cap. XXVIII.