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vers si souvent cités, et où, quoi qu’en aient dit des commentateurs trop subtils, il est évidemment question des marionnettes :

Tu, mihi qui imperitas, aliis servis miser, atque
Duceris, ut nervis alienis mobile lignum[1].

« Toi qui me commandes si impérieusement, tu es aussi le misérable esclave de plus d’un maître ; on te mène comme le bois mobile qui obéit à des fils étrangers. »

Plus tard, Favorinus, combattant les erreurs de l’astrologie judiciaire, dit dans un passage qu’Aulu-Gelle nous a conservé : « Si les hommes ne faisaient rien de leur propre mouvement et par leur libre arbitre, s’ils n’étaient dirigés que par la fatale et l’irrésistible influence des astres, ce ne seraient point des hommes, et, comme nous disons, des êtres doués de raison (ςώα λογχά), ce seraient de ridicules marionnettes, ludicra et ridicula quœdam nevrospasta[2]. Enfin Marc-Aurèle place la névrospastie au dernier rang de l’échelle des frivolités. Voici ses propres paroles, qui sont d’un tour bien remarquable : « Vaquer à la pompe du cirque et aux jeux de la scène, c’est prendre un soin frivole. Ces représentations. dans lesquelles on montre au peuple une longue suite de grands et de petits animaux, ou des combats de gladiateurs, ont-elles plus d’intérêt que la vue d’un os qu’on jette au milieu d’une troupe de chiens, ou que le morceau de pain qu’on émiette dans un vivier plein de poissons ? En quoi valent-elles mieux que le spectacle des fourmis qui travaillent à charrier de petits fardeaux, que celui des souris effrayées qui courent çà et là, ou même que celui des marionnettes[3]. » Toutefois, si ces diverses mentions nous autorisent à admettre l’existence à Rome de marionnettes populaires[4], je dois confesser que je n’ai rencontré aucun monument ni aucun texte qui présente, dans l’Italie ancienne, l’indice de représentations publiques pareilles à celles que les archontes d’Athènes permirent au névrospaste Pothein de donner sur le théâtre de Bacchus.

À présent que nous avons suffisamment constaté l’existence chez les anciens des marionnettes privées, populaires et même scéniques, il me

  1. Horat., lib. II, Sat. VII, v. 82. Le père Lupi, dans la dissertation que j’ai citée, réfute très bien, suivant moi, l’opinion de ceux qui voient dans ces deux vers une allusion au jeu du sabot, qu’on fait tourner à coups de lanières.
  2. Aul. Gell., Noctes Attic., lib. XIV, cap.I.
  3. Marc. Anton., ibid., lib. VII, § 3.
  4. Je ne puis m’empêcher de signaler une intaille de sardoine, représentant une larve qui danse devant un pâtre assis et jouant de la flûte. On dirait une de ces marionnettes populaires que nos petits savoyards font danser avec le pied dans les rues de nos villes ou sur les places de nos villages ; cette intaille a été publiée par MM. Gerbard et Panofka, Monum. antiq. de Naples, t. I, p. 195, n° 1.